Droit anglo-américain des propriétés intellectuelles
Un blog d'actualités autour de l'ouvrage du même nom
  • Copyright
  • Modèles
  • Brevets
  • Obtentions végétales
  • Marques et signes distinctifs
  • Secrets d’affaires
    RSS
    9 mars 2018

    Les clauses de propriété intellectuelle de l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) (Partie 1 : dispositions générales)

    P. Kamina Australie, Canada, Internet, Nouvelle Zélande, Propriété intellectuelle, Secrets d'affaires

    Source: Commerce Canada

    L’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP, CPTPP en anglais) a été signé le 8 mars 2018 par l’Australie, le Brunei, le Canada, le Chili, le Japon, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, le Pérou, Singapour et le Vietnam. Cet accord fait suite au retrait des états unis de l’Accord de partenariat transpacifique (PTP) en février 2017 et à sa reprise par les membres restants, dans le cadre de nouvelles négociations. Il entrera en vigueur soixante jours après notification de sa ratification par au moins six de ses signataires. Le PTPGP incorpore, par renvoi, les dispositions du PTP (article 1), à l’exception de certaines dispositions, qui seront suspendues (article 2). L’accord, dont la portée est très large, contient de nombreuses dispositions sur la propriété intellectuelle, inscrites à l’article 18 du PTP. L’annexe du PTPGP précise les dispositions suspendues.
    L’article 18 contient des dispositions générales, et des dispositions consacrées aux marques, aux noms de pays, aux indications géographiques, aux brevets (mais plus aux données d’essai, la disposition ayant été suspendue), aux dessins et modèles, au droit d’auteur et aux droits connexes (copyright), aux secrets commerciaux, à la défense des droits et à la responsabilité des « fournisseurs de services Internet ».

    Dispositions générales

    Le PTPGP contient ou renvoie à plusieurs déclarations générales sur la propriété intellectuelle et son articulation avec d’autres principes ou intérêts fondamentaux (santé publique, développement économique, concurrence) (articles 18.2 à 18.5 et 18.6.1).
    Les parties qui ne l’ont pas encore fait s’engagent à ratifier le Protocole de Madrid, le Traité de Budapest, de Singapour, la Convention UPOV (sous réserve d’un délai de trois ans pour la Nouvelle-Zélande) ainsi que le WCT et le WPPT (article 18.7). Elle s’engagent également à notifier à l’OMC leur acceptation du Protocole modifiant l’Accord sur les ADPIC du le 6 décembre 2005 (article 18.6.2).
    Un principe général de traitement national, applicable à tous les secteurs de la propriété intellectuelle visés dans l’accord, est inscrit à l’article 18.8. Des exceptions peuvent lui être apportées « en ce qui concerne les utilisations secondaires de phonogrammes au moyen de communications analogiques et de radiodiffusion gratuite par ondes hertziennes » (article 18.8.2), et (sous conditions) pour les procédures judiciaires et administratives (notamment en exigeant qu’un ressortissant de l’autre Partie indique une adresse pour la signification des actes de procédure sur son territoire, ou désigne un représentant sur son territoire) (article 18.2.3).
    L’accord contient également des dispositions sur la transparence, qui prévoit pour les signataires une obligation (best efforts) de mise à disposition sur Internet de leur réglementation de propriété intellectuelle et de l’information publique concernant des demandes marques de commerce, d’indications géographiques, de dessins, de brevets et d’obtention végétale (article 18.2.3)
    La question sensible de l’épuisement des droits est exclue de l’accord (article 18.11).
    Enfin, l’accord prévoit une coopération des parties dans plusieurs domaines, et notamment en matière de préservation ou de prise en compte des savoirs traditionnels (article 18.16). L’article est cependant rédigé dans des termes très larges, qui n’imposent pas la prévalence de l’objectif de protection des savoirs traditionnels sur la propriété intellectuelle :

    1. Les Parties reconnaissent la pertinence mutuelle des systèmes de propriétés intellectuelles et des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques, lorsque ces savoirs traditionnels sont liés à ces systèmes de propriété intellectuelle.
    2. Les Parties s’efforcent de collaborer par l’entremise de leurs organismes responsables de la propriété intellectuelle, ou d’autres organismes compétents, afin de favoriser une meilleure compréhension des questions concernant les savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques et les ressources génétiques.
    3. Les Parties s’efforcent de faire des examens des brevets de qualité, ce qui peut comprendre:
    a) l’éventuelle prise en compte, pour identifier l’art antérieur, de renseignements consignés accessibles au public concernant les savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques;
    b) la possibilité pour les tiers de citer, par écrit, au bénéfice de l’autorité examinatrice compétente, les divulgations d’antériorités qui peuvent influer sur la brevetabilité, y compris les divulgations d’antériorités liées aux savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques;
    c) si applicable et approprié, l’accès à des bases de données ou à des bibliothèques numériques renfermant des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques;
    d) la collaboration concernant la formation des examinateurs de brevets relativement à l’examen des demandes de brevets liées aux savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques.

    (A suivre: signes distinctifs, brevets, dessins et modèles, propriété littéraire, secrets commerciaux, procédures et sanctions, Internet)

    Partager ce contenu:
    24 février 2018

    Etats-Unis. Copyright. Pas d’originalité dans deux phrases d’une chanson, prétendument reprises par Taylor Swift dans son tube « shake it off ».

    P. Kamina Copyright, Etats-Unis

    Par une ordonnance du 13 février 2018 dans l’affaire Sean Hall d.b.a. Gimme Some Hot Sauce Music, et al . v. Taylor Swift, et al. (case n° CV 17-6882-MWF (ASx)),  la Cour de district pour le District central de Californie a rejeté une action en contrefaçon contre la chanteuse Taylor Swift, ses éditeurs et producteurs, à raison de la prétendue reprise de deux phrases d’une chanson antérieure dans le tube « Shake it off ».

    La chanson des demandeurs, intitulée « Playas Gon’ Play », largement diffusée en 2001, comprend les paroles suivantes (paroles prétendument reprises en gras)  : « Playas, they gonna play / And haters, they gonna hate / Ballers, they gonna ball / Shot callers, they gonna call / That ain’t got nothin’ to do / With me and you / That’s the way it is / That’s the way it is.”

    La chanson « Shake it Off » (qu’on pourrait traduire, selon le cas, par « débarrasse-t-en », « laisse tomber »…), sortie en 2014, contient quant à elle les paroles suivantes : “Cause the players gonna play, play, play, play, play / And the haters gonna hate, hate, hate, hate, hate / Baby I’m just gonna shake, shake, shake, shake, shake / Shake it off / Shake it off / Heartbreakers gonna break, break, break, break, break / And the fakers gonna fake, fake, fake, fake, fake / Baby I’m just gonna shake, shake, shake, shake, shake / Shake it off / Shake it off.”

    Précisons qu’en argot les termes « playas » et « players » désignent des personnes séduisantes auxquelles tout réussit ; les « haters » et « playa haters » sont ceux qui sont jaloux du succès des « players ». Les deux expressions sont souvent utilisées et opposées dans la culture populaire. Les demandeurs l’admettaient, mais faisaient résider l’originalité des deux phrases litigieuses dans la combinaison « playas/players playing  » et « hatas/haters hating ». La Cour considère que cet ensemble n’est pas suffisamment créatif pour attirer la protection par copyright:

    « In order for such short phrases to be protected under the Copyright Act, they must be more creative than the lyrics at issue here. As discussed above, players, haters, and player haters had received substantial pop culture attention prior to 2001. It is hardly surprising that Plaintiffs, hoping to convey the notion that one should persist regardless of others’ thoughts or actions, focused on both players playing and haters hating when numerous recent popular songs had each  addressed the subjects of players, haters, and player haters, albeit to convey different messages than Plaintiffs were trying to convey. In short, combining two truisms about playas and haters, both well-worn notions as of 2001, is simply not enough.
    At the hearing, Plaintiffs’ counsel offered alternative (very clunky) formulations of pairing a noun with its intransitive verb, thereby suggesting that “[noun] gonna [verb]” was creative in itself. While clever, this argument does not persuade. The argument ultimately only makes sense if the use of “gonna” as a contraction of “is going to” is sufficiently creative, or (as discussed above) one can claim creativity in asserting that a type of person acts in accordance with his or her inherent nature. To explicitly state the argument is to see how banal the asserted creativity is.
    In sum, the lyrics at issue – the only thing that Plaintiffs allege Defendants copied – are too brief, unoriginal, and uncreative to warrant protection under the Copyright Act. »

    En dépit de la relative évidence de la solution, la Cour revient en détail sur les règles applicables en matière d’originalité appliquée aux courtes phrases et aux combinaisons d’expressions.

    Partager ce contenu:
    23 février 2018

    Etats-Unis. Copyright. Disney c. Redbox. Revente de droits de téléchargement dissociés d’ensembles DVD/Blu-Ray. Epuisement des droits. Copyright misuse (abus de copyright)

    P. Kamina Copyright, Etats-Unis, Internet

    La Cour de district pour le District central de Californie a rendu le 20 février 2018 une ordonnance remarquée dans l’affaire Disney v. Redbox automated Retail (Case No. CV 17-08655 DDP, accessible ici), par laquelle elle relève notamment un abus de copyright (copyright misuse) de Disney lié à certaines interdictions d’usage ou de transfert de versions numériques de ses films. Il s’agit d’une première défaite de Disney dans un dossier qui présente des enjeux importants pour la distribution des copies numériques d’oeuvres.

    L’ordonnance porte sur une demande d’injonction préliminaire formée par Disney Enterprises et d’autres sociétés du groupe Disney contre la société de vente et de location de films Redbox Automated Retail, dans le cadre d’une affaire portant sur l’utilisation faite par Redbox de produits vendus par Disney combinant un DVD et un Blu-Ray du même film, ainsi qu’un code permettant le téléchargement d’une copie du film (« combo packs »). En l’espèce, la société Redbox, qui n’a pas conclu de contrat de distribution avec Disney, achetait dans le commerce des combo packs de Disney, séparait les Blu-Ray des DVD, ainsi que le code de téléchargement, qu’elle offrait par la suite à la vente de manière séparée (pour 7$99, soit un prix inférieur à celui pratiqué par Disney pour ses Blu-Ray, DVD et copies numériques commercialisées), et ce, en dépit de l’interdiction apposée par Disney sur l’emballage de ses produits.

    Disney avait alors assigné Redbox devant la Cour de district en novembre 2017, au motif que la revente des codes de téléchargement (a) constitue une incitation à la contrefaçon (contributory infringement), dans la mesure où elle encourage les utilisateurs à faire des reproductions non autorisées des oeuvres de Disney, (b) constitue une violation du contrat conclu entre Disney et Redbox à l’occasion de l’achat par Redbox des combo packs, et (c) viole les lois de Californie sur la publicité trompeuse et la concurrence déloyale. Disney avait ensuite formé cette demande d’injonction préliminaire interdisant notamment à  Redbox de vendre ou de transférer les codes de téléchargement.

    On rappellera à ce stade qu’une injonction préliminaire n’est accordée qu’à des conditions assez strictes. Notamment, le demandeur doit démontrer qu’il a une chance raisonnable de prévaloir au fond (likelihood / fair chance of success on the merits) et qu’il subirait un dommage irréparable (irreparable harm) à défaut d’injonction (pp. 5 et 6 de l’ordonnance).

    La Cour aborde en premier lieu (pp. 6-13) le grief de violation, par Redbox, du contrat qui lierait cette dernière, en tant qu’acheteur des combo packs, à Disney, consistant dans la mention « les codes [de téléchargement] ne peuvent être vendus ni transférés » apposée sur l’emballage.  La Cour considère que la question revient à se demander si cette interdiction constitue, à la manière des licences shrink-wrap ou box-top de logiciels, une licence valable, et si la décision prise par Redbox d’ouvrir l’emballage du pack constitue une acceptation de cette licence. Pour la Cour, qui s’appuie sur la jurisprudence rendue en matière de logiciels (et notamment l’arrêt de la Cour d’appel pour le 9ème circuit dans l’affaire Norcia v. Samsung Telecoms, 845 F.3d 1279, 9th Cic. 2017), la mention  apposée sur l’emballage ne constitue pas une licence: d’une part, car Disney n’indique pas que l’ouverture du conditionnement constitue une acceptation d’autres restrictions; d’autre part, car la seule mention de l’interdiction ne constitue pas une licence. En outre, elle relève que les conditions posées par la jurisprudence en matière de logiciels pour une acceptation de ce type de licences ne sont pas remplies:

    « Unlike the box-top language in Lexmark [421 F. 3d 981, 9th cir., 2005] Disney’s phrase does not identify the existence of a license offer in the first instance, let alone identify the nature of any consideration, specify any means of acceptance, or indicate that the consumer’s decision to open the box will constitute assent. In the absence of any such indications that an offer was being made, Redbox’s silence cannot reasonably be interpreted as assent to a restrictive license »

    Sur la question de l’incitation à la contrefaçon (contributory infringement), la Cour relève tout d’abord que la faculté de télécharger une copie du film sur le service de Disney s’inscrit dans le cadre d’une licence de téléchargement écrite qui n’autorise le téléchargement que par l’acheteur du produit, et qui interdit la revente du code de téléchargement. Le téléchargement en  violation de cette licence entraîne, selon Disney, violation de son copyright. La Cour ne semble pas contester le principe d’une contrefaçon par violation des termes d’une licence restrictive d’usage (sans pour autant aborder le point en détail). Cependant, pour sa défense Redbox invoquait la doctrine de copyright misuse (abus du copyright), qui permet, dans le cadre d’une défense à une action en contrefaçon, de sanctionner le comportement d’un titulaire du copyright qui abuse de son copyright pour obtenir une protection au-delà des limites de son monopole (sur cette doctrine et la doctrine de patent misuse, voir notre ouvrage, paragraphes n°37, 243 et 361). La Cour suit Redbox sur ce point, et considère que les termes de la licence de téléchargement, qui impliquent un téléchargement par le seul propriétaire du pack acheté, entre en conflit avec le principe d’épuisement des droits inscrit au paragraphe 109(a) du Copyright Act. En effet, pour la Cour les utilisateurs ne peuvent accéder au contenu numérique sans renoncer à leur droit garanti par la loi de revendre comme bon leur semble les exemplaires achetés. Dès lors, l’utilisation faite par Disney du copyright dans les exemplaires contredit l’intérêt public consacré par le Copyright Act, et constitue un abus de copyright. En conséquence, Disney ne démontre pas non plus des chances raisonnables de succès au fond sur la question de l’incitation à la contrefaçon.

    A noter que la Cour adresse également (p. 19-24), orbiter dicta, mais de manière détaillée, la question de l’épuisement des droits, en confirmant qu’elle n’est pas applicable dans l’hypothèse d’un téléchargement de copies numériques (suivant en cela Capitol Records v. ReDigi, 934 F. Supp. 2d 640 (SDNY 2013)). Elle rejette donc sur ce point l’argumentation proposée par Redbox.

    Enfin, la Cour rejette également les arguments de Disney fondés sur la responsabilité civile (tort d’incitation à la violation d’une obligation contractuelle), la publicité trompeuse et la concurrence déloyale (p. 24-25). Elle relève notamment que ces demandes, peu développées, dépendent largement de la validité des restrictions d’usage et de transfert stipulées par Disney.

    Cette ordonnance interlocutoire ne vide pas le contentieux entre les parties. Nous vous tiendrons au courant de l’évolution de ce dossier. La prochaine audience est prévue pour le 5 mars prochain. La Cour devra statuer sur une demande de rejet de l’action de Disney formulée par Redbox.

    Partager ce contenu:
    18 février 2018

    Etats-Unis. Copyright. Contrefaçon d’une image par reprise (embedding) d’un tweet, et « server test ».

    P. Kamina Copyright, Etats-Unis, Internet

    (Source IPKAT) Par un jugement partiel du 15 février 2018 sans l’affaire Goldman v. Breitbart News Network (Case 1:17-cv-03144-KBF, disponible ici), la Cour fédérale de district pour le District Sud de New York a jugé que l’intégration dans une page web, au travers d’un hyperlien, d’un tweet comprenant une photographie, donne prise au droit exclusif de présentation publique consacré par le Copyright Act, même lorsque l’image est hébergée sur un serveur appartenant et exploité par un tiers (Twitter). Elle rejette ainsi l’application du « test du serveur » (server test), appliqué notamment dans le neuvième circuit, qui écarte la responsabilité pour contrefaçon en cas de reprise par hyperlien d’un contenu hébergé sur un site tiers.
    En l’espèce, M. Goldman est l’auteur d’une photographie d’un joueur de football américain très connu aux Etats-Unis, postée à l’origine sur Snapchat puis reprise sur Reddit, Twitter et les sites des défenderesses (« Breitbart »). Ces dernières ont intégré les tweets concernés sur des pages de leurs sites comprenant des articles en rapport avec ce sportif. M. Goldman, prétendant qu’il n’avait jamais communiqué publiquement ni donné en licence sa photographie, avait alors assigné Breitbart en contrefaçon de copyright, sur le fondement du paragraphe 106(5) du Copyright Act. Cette section consacre un droit de présentation publique ou d’exposition (« droit de présenter en public l’oeuvre protégée ») distinct du droit de représentation, en faveur des auteurs d’oeuvres littéraires, musicales, dramatiques, et artistiques (à l’exception, pour ces dernières, des oeuvres d’architecture) (V. notre ouvrage, n°212). En l’espèce, avec l’accord des parties la Cour de district avait divisé le procès en deux phases: la première portant sur la possible violation du droit exclusif de présentation publique, et la seconde sur la responsabilité et les défenses soulevées par les défenderesses. Le jugement dont nous rendons compte est partiel, et ne porte que sur la première question.
    Sur ce point, on se souvient que la Cour d’appel fédérale pour le 9ème circuit avait jugé dans son arrêt Perfect 10 (Perfect 10, Inc. v. Amazon.com, Inc., 508 F.3d 1146 (9th Cir. 2007)) que la présentation d’images sur un site Internet constitue une présentation publique. L’affaire concernait le service Google image; en l’espèce, la contrefaçon avait été écartée par application du fair use (V. notre ouvrage, n°224). Cependant la Cour d’appel avait opéré une distinction importante, selon que les images étaient hébergées par Google ou non. Elle avait jugé contrefaisantes les reproductions sous forme de vignettes, hébergées par Google, mais avait écarté la responsabilité de Google pour les images en taille normale, hébergées sur des sites tiers, et accessibles uniquement par hyperliens vers ces sites (in-line linking). Pour sa défense, Breitbart s’appuyait sur cette décision et le test dit du serveur (server test), qu’elle aurait consacré; selon Breitbart aucune responsabilité ne saurait lui être imputée dans la mesure où les tweets litigieux sont hébergés par Twitter. La Cour de district rejette cet argument. Elle relève tout d’abord que si le test du serveur est bien établi dans le neuvième circuit, ce test n’a pas été adopté de manière générale. Il a notamment été rejeté à plusieurs reprises dans le district de New York (qui relève du second circuit fédéral), sur le fondement du droit de distribution, mais également sur celui du droit de présentation publique (Capitol Records, LLC v. ReDigi Inc., 934 F. Supp. 2d 640 (S.D.N.Y. 2013)). A noter que la Cour cite un jugement récent dans ce sens d’une Cour fédérale de District du Texas (Leader’s Institute, LLC v. Jackson, 2017 WL 5629514 (N.D. Tex. Nov. 22, 2017)) portant sur la question de la reprise par transclusion (framing) d’un site internet.
    La Cour considère ensuite que le server test ne trouve aucun fondement, ni dans le texte du Copyright Act, ni dans ses travaux préparatoires, ni dans la jurisprudence de la Cour Suprême (« the plain language of the Copyright Act, the legislative history undergirding its enactment, and subsequent Supreme Court jurisprudence provide no basis for a rule that allows the physical location or possession of an image to determine who may or may not have “displayed” a work within the meaning of the Copyright Act« ). En outre, la Cour distingue les faits de l’espèce de ceux soumis à la Cour d’appel du 9ème circuit dans l’affaire Perfect 10, et relève que cette dernière a pris en compte deux facteurs importants dans sa décision: le fait que le défendeur opérait un moteur de recherche, et le fait que l’utilisateur faisait le choix actif de cliquer sur une image avant sa « présentation ». Pour la Cour, ces points sont déterminants, et justifient la distinction des deux affaires :

    « In this Court’s view, these distinctions are critical. In Perfect 10, Google’s search engine provided a service whereby the user navigated from webpage to webpage, with Google’s assistance. This is manifestly not the same as opening up a favorite blog or website to find a full color image awaiting the user, whether he or she asked for it, looked for it, clicked on it, or not. Both the nature of Google Search Engine, as compared to the defendant websites, and the volitional act taken by users of the services, provide a sharp contrast to the facts at hand. In sum, the Court here does not apply the Server Test. It is neither appropriate to the specific facts of this case, nor, this Court believes, adequately grounded in the text of the Copyright Act. It therefore does not and should not control the outcome here. »

    Malgré l’intérêt pratique de cette décision, il faudra attendre également l’autre partie du jugement, qui pourra notamment trancher la question délicate du fair use.

    A noter que l’article d’IPKAT contient des développements sur d’autres affaires similaires, ainsi qu’une mise en perspective indispensable avec la jurisprudence européenne dans ce domaine (lien en début d’article).

    Partager ce contenu:
    17 février 2018

    Etats-Unis. Droit moral: 6,7 millions de dollars de dommages et intérêts pour l’effacement d’oeuvres de graffeurs

    P. Kamina Copyright, Droit moral, Etats-Unis

    Image Wikimedia Commons: Esmozis

    La Cour de district pour le District Est de New York a rendu le 12 février dernier une décision historique sur le droit moral dans l’affaire Cohen et al. v. G&M Realty (Case No. 13-CV-05612(FB)(RLM)) (texte disponible ici). Elle a condamné un promoteur immobilier à verser un total de 6,7 millions de dollars de dommages et intérêts à un groupe de graffeurs et d’artistes pour atteinte à leur droit moral du fait de la destruction de leurs fresques. L’affaire concerne l’affaire de l’ensemble dit des 5Pointz, ensemble immobilier non exploité situé à Long Island, investi depuis les années 1990 par des artistes, au départ sans autorisation, puis avec la bénédiction des défendeurs, propriétaires des lieux. Cet ensemble était devenu une attraction touristique, et la plus grande collection d’oeuvres de street art des Etats-Unis. Les défendeurs, promoteurs et propriétaires de l’ensemble, avaient décidé en 2013 sa démolition, qui aurait évidemment entraîné la destruction des oeuvres concernées.  Les artistes avaient tenté d’obtenir une injonction interdisant la destruction de leurs oeuvres, sur le fondement du droit limité à l’intégrité reconnu par le copyright Act en vertu du Visual Artists Rights Act VARA (VARA) de 1990(17 USC § 106A(a)) (sur ce texte, notre ouvrage, n°215). On rappellera que la protection offerte par ce texte s’applique uniquement aux «oeuvres des arts visuels », définies par la section 101 comme incluant «une peinture, un dessin, une estampe ou une sculpture, existant en un seul exemplaire ou en une série limitée ». L’auteur peut alors s’opposer (s’il n’a pas renoncé à son droit moral) «à toute déformation, mutilation ou autre modification intentionnelle de son oeuvre qui serait préjudiciable à son honneur ou à sa réputation, et à toute destruction intentionnelle ou par négligence grave si son oeuvre constitue une «oeuvre d’importance reconnue » (Ibid.). Le 12 novembre 2013, la Cour de district saisie avait refusé l’injonction préliminaire, en indiquant qu’un jugement écrit précisant les motifs de sa décision serait communiqué aux parties dans les jours qui suivraient. Sans attendre ce jugement, les promoteurs avaient procédé à la destruction par effacement de presque toutes les oeuvres  des artistes. Le jugement écrit les mettait cependant en garde contre les conséquences d’un effacement, compte tenu des possibilités de succès des demandeurs au fond (Cohen I, 988 F. Supp. 2d 212 (E.D.N.Y. 2013) ). Le jugement du 12 février 2018 fait suite à un verdict rendu par un jury en novembre 2017, qui avait conclu à la violation intentionnelle par les promoteurs des droits des demandeurs. En des termes très forts, la Cour relève « la nature abjecte de la conduite intentionnelle » (sic) des défendeurs, et accorde le maximum de dommages et intérêts forfaitaires (statutory damages) prévu par le VARA pour chacune des 45 fresques détruites, pour un total de 6.750.000 dollars (de 150.000 dollars à 1.325.000 dollars par artiste concerné).

    On relèvera que le Copyright Act prévoit deux exceptions au droit moral pour les oeuvres intégrées à des immeubles, inscrites aux sections 113(d)(1) et (2). Une distinction est faite selon que les oeuvres concernées peuvent être retirées sans dommage ou non. Pour les oeuvres qui ne peuvent être retirées sans être détruites, la section 113(d)(1) écarte l’application du droit moral lorsque (pour les oeuvres apposées postérieurement à l’entrée en vigueur du VARA) l’auteur a consenti par écrit à leur destruction, à leur retrait ou à d’autres modifications. Pour les oeuvres qui peuvent être retirées sans destruction, la section 113(2) prévoit un mécanisme de notification préalable destiné à permettre à l’auteur de prendre les mesures nécessaires  pour sauver son oeuvre. Les conditions prévues par ces textes n’étaient pas satisfaites en l’espèce.

    Pour leur défense, les promoteurs invoquaient la circonstance de la connaissance, par les auteurs, du caractère nécessairement temporaire de leurs oeuvres, ces derniers ne pouvant ignorer qu’elles étaient vouées à la destruction. Le caractère temporaire de la création ferait ainsi obstacle à l’application du VARA. La Cour écarte cet argument, au motif que le VARA ne distingue pas selon que l’oeuvre est définitive ou temporaire. Elle relève notamment que la loi a pris en compte l’hypothèse d’un conflit entre l’artiste et le propriétaire au travers de la section 113(d) précitée, que l’oeuvre soit temporaire ou définitive:

    « VARA draws no distinction between temporary and nontemporary works on the side of a building, particularly when all that makes a work temporary is the building owner’s expressed intention to remove or destroy it. VARA protects such works; how it protects them is governed by the carefully crafted provisions of § 113(d) based on the removability of the works, not their permanence. »

    La Cour, confortée sur ce point par les avis des témoins experts des demandeurs, confirme ensuite que les oeuvres concernées sont bien des « oeuvres d’importance reconnue » au sens du VARA, y compris selon les standards les plus stricts qu’elle pourrait appliquer. Le jugement consacre des développements importants aux standards applicables et à l’analyse des 49 oeuvres concernées, dont la plupart sont issues d’artistes reconnus au-delà des 5pointz.

    Enfin, la Cour confirme que la destruction des oeuvres constitue bien une mutilation qui porte atteinte à l’honneur et à la réputation des artistes au sens du VARA.

    Une grande partie du jugement est consacrée au calcul des dommages et intérêts (en l’espèce forfaitaires) et à la détermination du caractère intentionnel de l’atteinte au droit moral.

    Partager ce contenu:
    «< 3 4 5 6 7 >»

    Bienvenue

    Bienvenue sur ce blog d'actualités autour de l'ouvrage "Droit anglo-américain des propriétés intellectuelles", publié par Lextenso / LGDJ (janvier 2017). Vous y trouverez des articles relatifs à l'actualité de la propriété intellectuelle au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et dans d'autres pays de tradition juridique similaire. Bonne lecture. Pascal Kamina

    • A propos de l’ouvrage / table des matières
    • L’auteur
    • Liens utiles / mentions légales

    Rechercher sur ce site

    Catégories

    Articles récents

    • Trademark Modernization Act of 2020Trademark Modernization Act of 2020
      4 janvier 2021
    • Accord entre le RU et l’UEAccord entre le RU et l’UE
      2 janvier 2021
    • Protecting Lawful Streaming Act of 2020Protecting Lawful Streaming Act of 2020
      28 décembre 2020
    • Copyright Alternative in Small-Claims Enforcement Act of 2020Copyright Alternative in Small-Claims Enforcement Act of 2020
      28 décembre 2020
    • L’Australie adopte l’épuisement automatiqueL’Australie adopte l’épuisement automatique
      5 décembre 2020
    • Compétence des tribunaux du Royaume-Uni pour fixer les termes d’une licence FRAND mondialeCompétence des tribunaux du Royaume-Uni pour fixer les termes d’une licence FRAND mondiale
      12 septembre 2020
    • Rapport du Copyright Office sur la responsabilité des intermédiairesRapport du Copyright Office sur la responsabilité des intermédiaires
      24 juin 2020
    • BREXIT, PERIODE TRANSITOIRE ET PI : LA VERSION LONGUE !BREXIT, PERIODE TRANSITOIRE ET PI : LA VERSION LONGUE !
      2 février 2020
    • « Un an de droit anglo-américain », CCE février 2019« Un an de droit anglo-américain », CCE février 2019
      13 février 2019
    • Brexit: focus sur les marques et les dessins et modèles communautaires (et sur l’épuisement des droits)Brexit: focus sur les marques et les dessins et modèles communautaires (et sur l’épuisement des droits)
      12 février 2019
    • Le Music Modernization Act : une réforme majeure du copyright aux Etats-UnisLe Music Modernization Act : une réforme majeure du copyright aux Etats-Unis
      1 novembre 2018
    • Royaume-Uni: Trade Secrets (Enforcement, etc.) Regulations 2018Royaume-Uni: Trade Secrets (Enforcement, etc.) Regulations 2018
      25 septembre 2018
    • Brexit: notices sur la propriété intellectuelle en cas d’absence d’accord avec l’UEBrexit: notices sur la propriété intellectuelle en cas d’absence d’accord avec l’UE
      24 septembre 2018
    • Brevets: Le Royaume-Uni vient de ratifier l’accord sur la JUB et le protocole sur les privilèges et immunitésBrevets: Le Royaume-Uni vient de ratifier l’accord sur la JUB et le protocole sur les privilèges et immunités
      26 avril 2018
    • Brexit et copyright: document d’information de la Commission européenneBrexit et copyright: document d’information de la Commission européenne
      29 mars 2018
    • Pas de fair use pour l’utilisation par Google des API d’OraclePas de fair use pour l’utilisation par Google des API d’Oracle
      28 mars 2018
    • PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 5 et fin: défense des droits, secrets commerciaux, fournisseurs de services internet)PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 5 et fin: défense des droits, secrets commerciaux, fournisseurs de services internet)
      10 mars 2018
    • PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 4: droit d’auteur / copyright et droits voisins)PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 4: droit d’auteur / copyright et droits voisins)
      10 mars 2018
    • PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 3 : brevets, données d’essai et dessins ou modèles)PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 3 : brevets, données d’essai et dessins ou modèles)
      10 mars 2018
    • PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 2 : marques et signes distinctifs)PTPGP et propriété intellectuelle (Partie 2 : marques et signes distinctifs)
      9 mars 2018

    Newsletter

    Un email vous avertira de chaque publication (lien de désinscription inclus)
    Nom
    Email *

    ↑

    © Droit anglo-américain des propriétés intellectuelles 2023
    Powered by WordPress • Themify WordPress Themes