2 Typologie, fondements et nature juridique

 

 

13._ Le concept de propriété intellectuelle_ Il n’existe pas, dans les pays de common law, de théorie générale de la propriété intellectuelle, supposant une nature ou un régime communs de ces droits, ou proposant un cadre général de protection. Ni de définition légale ou universellement acceptée[1]. En conséquence, la doctrine adopte une vision assez large de la matière, dont les frontières sont quelquefois poreuses. Ainsi, les secrets de fabrique sont-ils souvent présentés comme une catégorie de propriété intellectuelle. Une décision américaine récente a également qualifié de propriété intellectuelle les droits à l’image reconnus par une législation étatique [2]. La propriété intellectuelle s’étend d’ailleurs, dans l’ensemble des pays étudiés, bien au-delà des protections instituées par la loi écrite. Cette extension est facilitée par la reconnaissance d’une propriété en common law[3]. Les définitions proposées de la propriété intellectuelle[4] et le contenu des ouvrages qui y sont consacrés reflètent cette conception très souple de la catégorie.

Procédons à un rapide tour d’horizon des principales formes de propriété intellectuelle, ou reconnues comme telles, dans les pays de droit anglo-américain.

 

14._ Le copyright_ Il est difficile de définir précisément le copyright. En effet, le champ de la protection a évolué, et les différences de régime entre certaines catégories d’œuvres font obstacle aux tentatives de définition synthétique. Ainsi, selon les systèmes et les époques, l’objet du copyright peut s’étendre au-delà des œuvres d’expression, aux objets de droits voisins ; le critère de protection, l’originalité, n’est pas exigé de manière uniforme ; et l’auteur n’est pas toujours titulaire ou bénéficiaire de la protection.

En conséquence, la plupart des lois de copyright ne le définissent pas autrement que par son contenu. Au Royaume-Uni, aux termes du Copyright Designs and Patents Act 1988 (CDPA 1988), le copyright est défini comme :

« un droit de propriété qui subsiste, conformément au présent titre [du CDPA 1988], dans les catégories suivantes d’œuvres :
a) les œuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques originales,
b) les phonogrammes, vidéogrammes (films) ou radiodiffusions (broadcasts), et
c) les arrangements typographiques d’éditions publiées »[5]

Des définitions similaires sont faites dans les Copyright Acts australien[6] et irlandais[7], ainsi que dans la loi canadienne[8].

Le copyright apparaît ainsi, dans ces pays, comme un ensemble de droits exclusifs (bundle of rights) sur certaines créations de forme ou leurs manifestations, reconnus par la loi[9]. Par contraste, aux États-Unis, le paragraphe 102 du Copyright Act retient une définition plus synthétique, rendue possible par une homogénéité plus forte de la protection :

« La protection inhérente au droit d’auteur s’étend, conformément aux dispositions du présent titre, aux œuvres de l’esprit originales fixées sous une forme tangible d’expression, connue à la date d’adoption de la présente loi ou mise au point ultérieurement, et qui permet de les percevoir, de les reproduire ou de les communiquer de toute autre manière, soit directement, soit à l’aide d’une machine ou d’un dispositif. »[10]

On le voit, sous réserve de la référence (insistante) à la fixation, cette définition américaine se rapproche de certaines définitions du droit d’auteur.

 

15._ Copyright et droit d’auteur_ Le champ de la protection par copyright ne correspond pas exactement à celui du droit d’auteur. Il est à la fois plus large, et plus étroit que ce dernier.

Le copyright recouvre en principe les droits économiques des auteurs, mais également, lorsqu’ils sont consacrés par la loi, les droits voisins des producteurs. En effet, l’intégration de ces droits (quelquefois qualifiés de « copyrights entrepreneuriaux ») ne trouble pas la cohérence d’un système qui fait par ailleurs la part belle aux intérêts des investisseurs. De même, la plupart des systèmes ne voient pas de difficulté à conférer, pour certains objets, une protection par copyright sans condition d’originalité[11]. C’est ainsi que le terme copyright recouvre, au Royaume-Uni et dans les pays inspirés par sa législation de copyright, non seulement la protection des œuvres littéraires, artistiques, dramatiques et musicales, mais également les droits voisins des producteurs (au minimum les droits sur les phonogrammes, vidéogrammes, et les droits des organismes de radiodiffusion – droits sur les broadcasts).

A l’inverse, le champ de la protection par copyright est plus étroit que le droit d’auteur, dans la mesure où en principe il ne recouvre pas le droit moral, ou plutôt les droits moraux. Ceci reste en partie vrai, même lorsque ces derniers sont consacrés par la loi… de copyright. Ainsi, au Royaume-Uni, malgré leur inclusion formelle dans la Partie I du CDPA 1988 consacrée au copyright, et certains renvois aux règles du copyright (durée de protection notamment, application aux seules œuvres protégées), les droits moraux constituent une catégorie de droits indépendante du copyright[12]. La position semble similaire aux États-Unis, où les droits moraux sont encore plus limités. Cette remarque faite, la question de savoir si la définition, le champ ou la nature du copyright ont été modifiés par l’intégration des droits moraux ne semble pas être discutée en doctrine, et paraît passablement théorique. Au pire (ou au mieux), on admettra que certains systèmes de copyright ont opté pour une forme de « dualisme extrême »[13], dans lequel le droit moral n’a qu’une portée très accessoire et limitée, sans commune mesure avec la place qui lui est faite dans les systèmes de droit d’auteur.

 

16._ Les droits voisins_ Pour les raisons exposées ci-dessus, dans les systèmes de copyright la catégorie des droits voisins est largement absorbée par le copyright. Au Royaume-Uni et dans les pays qui suivent son modèle, les droits voisins des producteurs, c’est-à-dire les droits sur les phonogrammes, les vidéogrammes ou les radiodiffusions, sont protégés par des copyrights, qui présentent généralement les caractéristiques des droits voisins (droits sur enregistrement ou signaux et protection sans critère d’originalité). L’intégration des droits voisins dans le cadre du copyright anglais ne laisse guère subsister, en tant que droits voisins (« related » ou « neighbouring rights »), que le droit des artistes-interprètes, les performers’ rights[14]. Le Canada constitue sur ce point une exception remarquable, dans la mesure où la loi qualifie les  droits des artistes interprètes et des producteurs de droit d’auteur (copyright dans la version anglaise)[15].

Le droit sui generis des producteurs de bases de données, lorsqu’il est institué, est en principe traité comme une catégorie distincte du copyright[16].

Aux États-Unis les droits voisins des producteurs, tels que nous les connaissons, n’existent pas. La loi fédérale n’offre pas de protection pour les vidéogrammes ou pour les organismes de radiodiffusion[17]. Seuls sont protégés les enregistrements sonores[18], mais cette protection prend la forme d’un copyright classique, portant sur une œuvre (le résultat du travail du producer, de l’ingénieur du son ou d’autres personnes physiques), et l’exigence d’originalité s’applique à cette catégorie d’œuvre comme aux autres[19]. Cependant les artistes-interprètes bénéficient depuis 1994 de droits exclusifs limités, définis en dehors du copyright et assimilables à des droits voisins[20].

 

17._ Les brevets d’invention_ Le terme patent recouvre en principe le champ du brevet d’invention dans les pays de droit civil. La situation est différente aux États-Unis, où la loi fédérale sur les brevets distingue trois type de patents : les utility patents, qui correspondent aux brevets d’invention ; les designs patents, qui correspondent aux dessins ou modèles déposés[21] ; et les plant patents, qui constituent une forme de brevets de plante spécifique[22]. Cependant le terme patent, utilisé sans précision, y désigne le plus souvent les utility patents.

Du fait de l’harmonisation européenne dans ce domaine, le droit des brevets applicable au Royaume-Uni et en Irlande est désormais très proche de notre droit des brevet. Par contraste, le droits des brevets (utility patents) des États-Unis d’Amérique a conservé des caractéristiques et procédures sans équivalent en Europe et dans d’autres pays de droit anglo-américain. Il en sera question en détail dans ce qui suit[23]. Les pays non européens qui suivent traditionnellement le modèle anglais ont également souvent conservé ou adopté des solutions propres, notamment sur le champ de la brevetabilité[24].

 

18._ Les modèles d’utilité_ Très peu de systèmes de common law ont introduit des formes abrégées de protection par brevet ou modèles d’utilité. On peut citer l’Australie, qui a introduit les petty patents en 1979, devenus innovation patents[25], et l’Irlande, avec les short term patents[26].

Le Royaume-Uni a également institué en 1988 une protection originale couvrant notamment les modèles fonctionnels, l’unregistered design right, qui bien qu’intégrée dans le droit du design, s’apparente à cette forme de protection[27].

 

19._ La protection des dessins ou modèles industriels_ Les pays de copyright excluent traditionnellement de la protection par copyright un nombre important de dessins ou modèles utilitaires. Le cumul avec la protection spécifique des dessins et modèles déposés est donc, soit exclu, soit fortement limité. Cependant les modalités et la portée des exclusions ou restrictions varient selon les pays. En outre, les modes de protection spécifique présentent souvent des caractéristiques assez différentes (sauf au sein de l’Union européenne, du fait de l’harmonisation sur ce point).

Au Royaume-Uni, la protection des dessins ou modèles tout d’abord est assurée par le copyright, mais de façon très limitée. Les règles applicables aboutissent en pratique à une forte exclusion des œuvres de l’art appliqué du champ de cette protection[28]. La protection est également assurée par le droit des modèles déposés, qui a subi l’harmonisation européenne sur ce point[29]. Le Royaume-Uni a également mis en œuvre une troisième forme de protection des dessins ou modèles, au travers de l’unregistered designs right, institué en 1988, qui vient combler une partie du vide laissé par le reflux du copyright dans ce domaine[30].

Aux États-Unis les dessins ou modèles industriels sont très largement exclus de la protection par copyright[31]. La protection spécifique est assurée par un  brevet, le design patent, qui partage certaines caractéristiques avec les brevets d’invention[32]. Une protection spécifique a par ailleurs été créée pour les formes de coques et ponts de bateaux[33].

 

20._ Les obtentions végétales_ La protection des obtentions végétales n’a été consacrée que tardivement. Les États-Unis ont été parmi les premiers à introduire une législation spécifique dans ce domaine, au travers du droit des brevets, en instituant en 1930 un brevet spécifique, le plant patent[34]. Par la suite, sous l’influence de la Convention UPOV tous les pays de common law (États-Unis inclus) ont adopté des législations spécifiques en dehors du cadre des brevets, généralement dénommées lois de protection des plant varieties (variétés végétales) ou plant breeders (obtenteurs).

Il faut également tenir compte de l’extension des brevets d’invention aux plantes, qui n’a pas nécessairement la même portée dans tous les pays[35].

 

21._ Les marques_ Dans les systèmes de common law, la protection des marques est assurée de deux manières.

Historiquement, les marques sont protégées en common law au travers d’un tort (cas de responsabilité civile), le tort de  passing off, qui sanctionne le fait pour un commerçant de faire passer, auprès de clients, ses produits ou services pour ceux d’un autre[36]. Dans la mesure où le meilleur moyen de faire passer ses produits pour ceux d’un concurrent est de détourner ses signes distinctifs (son enseigne, son nom commercial, sa marque…), la protection de la marque s’est naturellement développée dans le cadre de ce tort. C’est dans ce sens que l’on parle d’une protection des marques non déposées ou d’une protection des marques d’usage dans les pays de common law. Cette forme de protection, reprise par la loi écrite dans certains pays, est très différente de celle qui pourrait être acquise, de manière indirecte, au travers des principes de concurrence déloyale ou de responsabilité civile appliqués dans les pays de droit civil. Il s’agit d’une forme de protection directe, et principale, des marques, qui se cumule avec celle issue de la législation écrite, d’apparition plus tardive Outre-Manche et Outre-Atlantique.

La seconde forme de protection instaurée par la loi écrite est justement la protection des marques déposées. Au sein de l’Union européenne, les divergences entre les systèmes de common law et les droits continentaux ont été presque entièrement effacées par l’harmonisation dans ce domaine[37]. Les droits des marques déposées aux États-Unis et dans certaines juridictions non européennes de common law ont par contre conservé des caractéristiques propres.

Aux États-Unis et dans certains pays, il faut également prendre en compte, au-delà du droit des marques, toute une série de lois portant sur la concurrence déloyale ou protégeant certains signes distinctifs (trade dress, trade names, noms de domaines …)[38].

 

22._ Les indications d’origine et de qualité_ Dans les pays de common law la protection des indications d’origine et de qualité est traditionnellement assurée, soit par le  passing off, soit par le droit des marques déposées, au travers de marques individuelles, collectives ou de certification[39], soit encore au travers de réglementations du commerce. Au sein de l’Union européenne,  le processus d’harmonisation a rapproché le Royaume-Uni et l’Irlande de leurs voisins européens, en introduisant des formes de protection spécifiques sous la forme des AOP, IGP et STG. Il n’existe cependant pas d’équivalent national de ces indications. Elles sont également largement inconnues des autres systèmes de common law, sauf, de manière limitée, dans le domaine viniviticole, où la réglementation prend alors des formes assez diverses[40].

 

23._ Les autres formes de protection_ Parmi les autres formes de protection on pourra citer les topographies de semi-conducteurs, formellement protégées au Royaume-Uni dans le cadre de l’unregistered design right[41], et en Australie, au Canada, aux États-Unis et en Irlande comme un droit sui generis[42].

On peut également, suivant les auteurs anglo-américains, classer la législation ou les règles de common law ou d’equity assurant la protection de l’information confidentielle et des secrets d’affaires dans la catégorie de la propriété intellectuelle. Ou encore, y inclure le right of publicity américain et ses équivalents.

 

24._ Fondements et nature juridique_ Cette présentation rapide faire, il convient de dire un mot des fondements et des justifications de la protection, qui sont déterminants dans l’approche adoptée par le législateur, et dans le perception de la nature juridique des droits protégés.

 

25._ Justifications de la propriété intellectuelle_ Le juriste français qui découvre la doctrine anglo-américaine de propriété intellectuelle sera étonné de la place qu’y occupent les débats sur les justifications de la propriété intellectuelle[43]. Ces débats sont anciens, et ont retrouvé une certaine vigueur, notamment aux États-Unis, sous l’influence combinée (et successive) de l’analyse économique du droit et de l’idéologie du libre-échange qui a accompagné les développements du logiciel libre et de l’internet[44]. Ils sont régulièrement portés à l’attention du public à l’occasion de réformes de la propriété intellectuelle.

La propriété intellectuelle en est généralement sortie renforcée, et avec elle les justifications avancées au soutien de la protection. Parmi les justifications proposées, les idées utilitaristes dominent, qui voient dans la propriété intellectuelle, selon le cas, une nécessaire protection des investissements, ou un encouragement à la création. Cette justification reste profondément inscrite dans l’histoire même de la propriété intellectuelle. Ainsi la première loi de propriété intellectuelle, le Statute of Monopolies de 1624, est une loi d’ordre public économique, prévoyant l’abolition des monopoles conférés par lettres patentes; la mise en place d’un mécanisme de brevets n’y figure que par voie d’exception destinée à encourager la création d’inventions utiles et nouvelles[45]. Cette vision de la protection est également inscrite dans la première loi de copyright, la loi d’Anne de 1710, intitulée « une loi destinée à encourager la connaissance, par l’attribution des copies de livres imprimés aux auteurs ou à leurs cessionnaires »[46]. Cet objectif est également inscrit dans la clause de brevet et de copyright de la Constitution des États-Unis (« promouvoir le progrès des sciences et des arts utiles »)[47]. Les expressions et variantes de cette approche sont nombreuses[48], et ont chacune des conséquences sur l’interprétation, plus ou moins extensive, des prérogatives associées aux principaux monopoles[49]. L’approche utilitariste s’oppose aux théories du droit naturel, plus présentes, sous diverses formes, dans les pays de droit civil, au premier rang desquelles la théorie fondée sur le concept de propriété, qui trouve notamment sa source (pour les auteurs anglais) dans les écrits de John Locke (propriété fondée sur le travail, labour theory)[50]. Cette dernière et ses variantes (théorie de la récompense par exemple) n’ont pas été sans influence, notamment aux États-Unis[51] ou au Canada[52]. En revanche, les théories personnalistes sont restées propres aux systèmes  de droit civil (où elles sont confinées au droit d’auteur), et la mise en œuvre, par la plupart des systèmes de copyright, de droits moraux limités, n’a pas entraîné de modifications dans  l’approche générale de la protection.

Enfin, certains spécialistes (surtout aux États-Unis) justifient la propriété intellectuelle par des considérations économiques plus techniques, comme la nécessité d’assurer une allocation plus efficiente des ressources, ou encore un objectif de stimulation de la concurrence[53].

Bien évidemment, ces justifications sont le plus souvent avancées au regard des droits modèles que constituent le copyright et le droit de brevet. Le droit des marques obéit à une logique assez différente, et dans les systèmes de common law cette protection est justifiée par des impératifs spécifiques de concurrence et de protection des consommateurs[54].

 

26._ Qualification et classification des droits de propriété intellectuelle_ D’un point de vue technique, l’analyse de la propriété intellectuelle en termes de property reste majoritaire dans les pays de common law. Plus précisément, il est généralement admis que les droits de propriété intellectuelle constituent une personal property[55]. Ici personal ne signifie pas « personnelle » , mais plutôt « mobilière » , par opposition à real property (propriété immobilière).

On retrouve ainsi l’usage du mot property dans la quasi-totalité des lois de propriété intellectuelle anglaises et américaines. Au Royaume-Uni, le CDPA 1988 définit le copyright et l’unregistered design right de personal or moveable property[56]. Les brevets et demandes de brevet sont également qualifiés par le Patents Act 1977 de personal property[57]. La même qualification est donnée aux marques et demandes de marques par le Trade Marks Act 1994[58], et aux dessins et modèles enregistrés par le Registered Designs Act 1949[59]. La qualification est également utilisée pour les marques protégées en common law[60]. La position est similaire aux États-Unis[61] sauf, et le fait est notable, en matière de marques, où la qualification de propriété est traditionnellement rejetée au profit d’une analyse plus économique[62].

Rappelons cependant que la notion anglo-américaine de property ne s’inscrit pas dans une théorie générale des droits subjectifs proposant une classification systématique des droits réels. L’expression property right est assez rarement utilisée dans les textes, et le terme property désigne plutôt un rapport général d’appropriation exclusive. On parle d’ailleurs souvent de « propriété du copyright », c’est-à-dire du droit (ou de l’ensemble des droits conférés par le copyright). La qualification de propriété entraîne néanmoins des conséquences juridiques, au premier rang desquelles la possibilité de faire un commerce juridique de ces droits (ou de leurs objets) en les cédant, en les constituant en suretés ou en les donnant en licence. D’autres conséquences peuvent également, dans le silence de la loi écrite, être attachées à cette qualification[63].

Enfin, la qualification n’exclut pas une perception de la protection en termes de monopole, cette dernière expression ayant une connotation principalement économique, sans toutefois correspondre aux définitions strictes des économistes[64].

 

 


  1. Gray v News Group Newspapers Ltd [2011] EWHC 349 (Ch), [2011] 2 WLR 1401: « A review of intellectual property textbooks shows that there is no universal definition of the term, which is no doubt why Parliament has adopted a variety of definitions for different situations. » Sur l’évolution du concept au Royaume-Uni, L. Bently, B. Sherman, The Making of Modern Intellectual Property Law, Cambridge University Press 1999.
  2. Hepp v. Facebook et al., n° 20-2725 and 20-2885, 3d Cir. 2021, citée dans P. Kamina, Un an de droit anglo-américain, Comm. comm. électr., fev. 2022. La Cour y considère en effet que les droits à l'image reconnus par l'État de Pennyslvanie sont bien des droits de propriété intellectuelle au sens de la section 230(e) (2) du Communications Devency Act. La Cour ne s'attarde pas sur la doctrine, et préfère invoquer sur ce point les définitions de la propriété intellectuelle issues des principaux dictionnaires juridiques (notamment le Black's Law Dictionarty et le Bouvier's Law Dictionary), qui citent le right of publicity au nombre des droits de propriété intellectuelle. La Cour relève notamment que le Bouvier « établit un critère que la loi sur le droit de publicité de La Pennsylvanie satisfait dans la mesure où la loi accorde aux personnes des monopoles sur leur image ». Elle souligne également que la loi prévoit des réparations semblables à celles accordées en matière d'atteinte aux biens, y compris la possibilité d'obtenir des dommages-intérêts et des injonctions contre les intrus (trespassers). La Cour relève enfin la proximité entre le right of publicity et le droit des marques.
  3. Ainsi, dans notre domaine, une protection du copyright en common law a longtemps subsisté à côté de la protection par la loi écrite (V. infra Chapitre 2, Section 1). Autre exemple, l’action en  passing off, à la base de la protection des marques en common law, protège le goodwill (élément attractif de la clientèle), qualifié de propriété par les juges (V. infra n°463).
  4. V. par exemple, Bainbridge, p. 3: « What is intellectual property law? Intellectual property law is that area of law which concerns legal rights associated with creative effort or commercial reputation and goodwill ». Cornish, op. cit., p. 6 : « Intellectual property protects applications of ideas and information that are of commercial value ».
  5. CDPA 1988, s. 1.
  6. Copyright Act 1968 (Cth), s. 31 (« For the purposes of this Act, unless the contrary intention appears, copyright, in relation to a work, is the exclusive right: (a)  in the case of a literary, dramatic or musical work, to do all or any of the following acts: (...) »).
  7. Copyright and Related Rights Act 2000, s. 17 « Copyright is a property right whereby, subject to this Act, the owner of the copyright in any work may undertake or authorise other persons in relation to that work to undertake certain acts in the State, being acts which are designated by this Act as acts restricted by copyright in a work of that description ».
  8. Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42), article 2 (« droit d’auteur S’entend du droit visé : a) dans le cas d’une oeuvre, à l’article 3; b) dans le cas d’une prestation, aux articles 15 et 26; c) dans le cas d’un enregistrement sonore, à l’article 18; d) dans le cas d’un signal de communication, à l’article 21 »). Cependant le concept a une portée plus large au Canada, dans la mesure où l’ensemble des droits voisins, y compris les interprétations, sont protégées par un droit d’auteur (ou copyright).
  9. Cornish, p. 8: « Copyright (…) is a right given against the copying of defined types of cultural, informational and entertainment productions ».
  10. Traduction OMPI.
  11. Ce n’est pas le cas aux États-Unis, l’originalité étant une condition constitutionnelle (V. infra n°190). Les enregistrements sonores sont donc protégés comme œuvres originales.
  12. V. infra n°169.
  13. Expression empruntée à Cornish (1989), p. 449. V. également A. Rahmatian, Dealing with rights in copyright-protected works: assignment and licences, in Research handbook on the future of EU copyright, Edward Elgar 2009, p. 297.
  14. V. infra n°175 et suivants.
  15. Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42), article 2 (« droit d’auteur s’entend du droit visé (…) dans le cas d’une prestation, aux articles 15 et 17 (…) dans le cas d’un enregistrement sonore, à l’article 18 (…) dans le cas d’un signal de communication, à l’article 21 »), et 15 (« l’artiste-interprète a un droit d’auteur (…) »).
  16. V. infra n°183.
  17. V. cependant infra n°203.
  18. V. infra n°199.
  19. Ibid.
  20. V. infra n°207 et 275.
  21. V. infra n°293 à 295.
  22. V. Tome 2, et 1re éd. 2017, n°373.
  23. V. Tome 2, et 1re éd. 2017, Chapitre IV, section 2.
  24. V. Tome 2, et 1res éd. 2017, n°366 à 368.
  25. Leur régime est décrit dans le Tome 2, et 1re éd. 2017, n°367.
  26. Patent Act 1992, ss. 63-67. Leur régime est proche des innovation patents australiens: condition d’activité inventive assouplie, pas de recherche avant délivrance (mais un rapport de recherché devra être demandé et produit avant toute action en contrefaçon), protection pour dix ans. Une forme abrégée de brevets existe également à Hong-Kong.
  27. V. infra n°288.
  28. V. infra n°102 et 283.
  29. V. infra n°285 à 287.
  30. V. infra n°288.
  31. V. infra n°196.
  32. V. infra n°293 à 295.
  33. V. infra n°297.
  34. V. Tome 2, et 1re éd. 2017, n°371.
  35. V. Tome 2, et 1re éd. 2017, n°370 à 374.
  36. En réalité le passing off ne protège pas la marque du commerçant, mais son pouvoir attractif de clientèle (son goodwill). V. Tome 3, et 1re éd. 2017, n°463.
  37. Mais la protection des marques non déposées par common law subsiste.
  38. V. Tome 3, et 1re éd. 2017, Chapitre VII.
  39. V. Tome 3, et 1re éd. 2017, Chapitre VI, section 4.
  40. V. Tome 3, et 1re éd. 2017, n°459 et 460 (exemples de l’Australie et du Canada).
  41. V. infra n°289.
  42. V. infra n°296.
  43. On notera que de nombreux manuels et traités comportent non seulement des sections sur les justifications de la propriété intellectuelle, mais également des développements quelquefois assez longs sur les objections à la protection (formulées par les économistes ou certains pays émergents), plus rares dans les ouvrages français. Nous ne les développerons pas ici. Pour une approche plus originale, V. N. Wilkof, « Theories of intellectual property: Is it worth the effort? » Journal of Intellectual Property Law & Practice 9, n°4 (2014), 257 ; H. Laddie, « The Insatiable Appetite for Intellectual Property Rights ». Current Legal Problems 61, n°1 (2008), 401-20.
  44. V. supra n°6.
  45. V. Tome 2, et 1re éd. 2017, n°280.
  46. V. infra n°75.
  47. V. infra n° 38.
  48. Reward by monopoly, monopoly profit incentive, exchange for secret, etc.
  49. Pour une bibliographie (et des opinions quelquefois plus nuancées), v. par exemple F.K. Beier, "The significance of the patent system for technical, economic and social progress" (1980) 11 IIC 570; F.K. Beier, J. Strauss," The patent system and its informational function – yesterday and today" (1977) 8 IIC 387; S. Breyer, "The uneasy case for copyright: a study of copyright in books, photocopies and computer programs" (1970) 84 Harvard L Rev 282; W. Kingston, "Patent protection for modern technologies" [1997] IPQ 350; H. Kronz, "Patent protection for innovations: a model" [1983] EIPR 178; H. Spector, "An outline of a theory justifying intellectual and industrial property rights" [1989] EIPR 270.
  50. John Locke, Les deux traités du gouvernement civil (1690), Chapitre V. J. Savirimuthu, « John Locke, natural rights and intellectual property: the legacy of an idea », Journal of Intellectual Property Law & Practice 8, nᵒ 11 (2013), 892‑94.
  51. Par exemple, la théorie qui, en droit américain, sanctionne le free riding (enrichissement sans cause), fait écho à cette conception, et use d’ailleurs d’analogies qui rappellent la formule célèbre de Le Chapellier sur le droit d’auteur. V. la décision de la Cour Suprême dans l’affaire International News Service v. Associated Press, 248 U.S. 215, 239-240 (1918) : « [T]his defendant … admits that it is taking material that has been acquired by complainant as the result of organization and the expenditure of labor, skill, and money, and which is salable by complainant for money, and that defendant in appropriating it and selling it as its own is endeavoring to reap where it has not sown, and … is appropriating to itself the harvest of those who have sown. »V. également Mazer v. Stein, 347 U.S. 201, 219 (1954): « Sacrificial days devoted to (…) creative activities deserve rewards commensurate with the services rendered ».
  52. V. par exemple Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002] 2 R.C.S. 336, 2002 CSC 34 (CanLII) : « La Loi est généralement présentée comme établissant un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur (…) On atteint le juste équilibre entre les objectifs de politique générale, dont ceux qui précèdent, non seulement en reconnaissant les droits du créateur, mais aussi en accordant l’importance qu’il convient à la nature limitée de ces droits. »
  53. W. Landes, R. Posner, « An economic analysis of copyright law » (1989) 18 JLS 325; R. Van den Bergh, « The role and social justification of copyright: a law and economics approach » [1998] IPQ 17
  54. A. Kamperman Sanders, S. Maniatis, « A consumer trade mark: protection based on origin and quality » [1993] EIPR 406; W. Landes, R. Posner, "The economics of trademark law" (1987) 30 J Law and Econ 265; F. Schechter, The rational basis of trademark protection (1927) 40 Harvard L Rev 813
  55. Et comme une « incorporeal moveable property » en droit écossais.
  56. CDPA 1988, s. 90(1) et s. 222(1). le Copyright Act 1956 (s. 36(1)) et le CDPA 1988 (s.90(1)) disposent: « copyright is transmissible by assignement, by testamentary disposition or by operation of the law, as personal or moveable property ».
  57. Patents Act 1977, s. 30(1).
  58. Trade Marks Act 1994, s. 22 et 27(1).
  59. Registered Designs Act 1949, s. 19(4)
  60. V. par exemple Leather Cloth Co Ltd v. American Leather Cloth Co Ltd (1863) 4DeGJ&S 137 (pour une marque dans le cadre d’un action en passing off).
  61. Aux Etat-Unis, le Copyright Act de 1909 disposait (s.42): « Copyright secured under this or previous Acts of the United States may be assigned, granted or mortgaged by an instrument in writing signed by the proprietor of the copyright, or may be bequeathed by will ». De manière plus directe, la loi de 1976 affirme (s. 201 (d)(1)). « The ownership of a copyright may be transferred in whole in part by any means of conveyance or by operation of law, and may be bequeathed by will or pass as personal property by the applicable laws of intestate succession ». La loi fédérale confère également aux brevets « the attributes of personal property » (35 U.S.C. § 261).
  62. « There is no such thing as property in a trade-mark except as a right appurtenant to an established business or trade in connection with which the mark is employed. » United Drug Co. v. Theodore Rectanus Co., 248 U.S. 90 (1918).
  63. Ainsi par exemple en droit anglais une théorie veut que les injunctions ne soient disponibles qu'en matière de propriété. Plus généralement, M. Anderson, « Applying traditional property laws to IP transactions », [1995] 5 EIPR 327; également, D. Bainbridge, Intellectual Property, 9e éd., Pearson 2012, p. 10, sur la possible application, dans le silence de la loi, du formalisme prévu en matière de cession de choses in action par le Law of Property Act 1925.
  64. « A “monopoly” simply means exclusive ownership, possession, or control » K.C. Shippey, A short course in international intellectual property rights, World Trade Press, 3e. ed. 2009, p. 2.