5 Procédures et sanctions

 

 

56._ Plan_ Nous nous limiterons ici à un bref exposé des règles applicables au Royaume-Uni, d’une part, et aux États-Unis, d’autre part[1].

1. Au Royaume-Uni

57._ Avertissement_ Les quelques remarques qui suivent ne portent que sur le droit applicable en Angleterre et au Pays de Galles. Elles ne concernent ni l’Écosse, ni l’Irlande du Nord, qui ont chacune leur propre organisation judiciaire et leurs propres procédures[2]. Il ne sera question ici que des procédures civiles. En outre, certains mécanismes très spécifiques, par exemple ceux mis en œuvre par le Digital Economy Act 2010 et d’autres législations plus récentes en matière de contrefaçon en ligne, sont décrits plus loin[3].

 

58._ Le contexte procédural (au civil)_ La procédure civile anglaise a connu une réforme très importante à partir de 1999, qui a notamment institué de nouvelles règles procédurales applicables en matière de propriété intellectuelle. Cette réforme était destinée à simplifier et à accélérer les procédures, mais également à s’assurer qu’elles ne seraient utilisées qu’en dernier recours. Les nouvelles règles favorisent par exemple l’échange d’arguments et d’information dans la phase précontentieuse (« pre-action protocols »), et sanctionnent tout recours « déraisonnable » ou « disproportionné » à certaines procédures. Certains mécanismes mis en place ont également pour but de favoriser (voire de pousser) les parties à une transaction rapide.

Les institutions traditionnelles de la procédure civile anglaise ont été conservées et adaptées. Certaines ont des conséquences importantes sur les procès en contrefaçon. C’est notamment le cas de la procédure de disclosure (obligation large faite à chaque partie de divulguer les éléments pertinents au dossier, y compris ceux qui lui sont défavorables) qui, si elle n’est pas définie de manière aussi large qu’aux États-Unis, n’a pas d’équivalent en France.

L’importance accordée à la preuve orale et les mécanismes d’interrogation des témoins (et des experts) sont également des facteurs de complexité et de coûts importants dans les procès civils.

De même, la possibilité d’une condamnation de la partie défaillante aux coûts et aux frais (réels ou forfaitisés) de l’adversaire, qui reste le principe en droit anglais (même si une marge d’appréciation assez large est laissée au juge), contribue fortement aux risques associés aux procédures.

S’agissant enfin des mesures probatoires, il convient de noter que le droit anglais est traditionnellement très opposé aux procédures assimilables à des perquisitions. L’absence d’huissiers de justice sur le modèle français implique également des solutions et stratégies assez différentes dans la recherche et la constatation des actes de contrefaçon.

Notons que le Royaume-Uni a transposé les dispositions de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle au travers des Intellectual Property (Enforcement, etc.) Regulations 2006[4]. Ce texte apporte quelques modifications au Patents Act 1977, au Copyright, Designs and Patents Act 1988, au Trade Marks Act 1994, au Registered Designs Act 1949 et aux règles de procédure civile applicables. Il transpose notamment les dispositions de l’article 13 de la directive concernant l’évaluation des dommages et intérêts. Les quelques changements procéduraux effectués (relatifs à certaines présomptions, garanties ou remèdes dans des hypothèses particulières ainsi qu’à la publication des décisions), à la portée limitée, ne seront pas abordés dans ce qui suit.

 

59._ Compétence et procédures (au civil)_ Les litiges en matière de contrefaçon peuvent être introduits devant la High Court (Chancery Division) ou devant la Patents Court (formation spécialisée au sein de la Chancery Division, compétente en matière de brevets, dessins ou modèles enregistrés et topographies de semi-conducteurs) . Un nouveau tribunal, l’Intellectual Property Enterprise Court (IPEC), institué en 2013[5], peut également être saisi des litiges en matière de copyright, de brevets, de dessins ou modèles et de marques déposées. La procédure devant l’IPEC est destinée aux affaires les moins complexes et présentant un enjeu financier limité.[6] Une voie procédurale spécifique (small claim track) est ouverte au sein de l’IPEC pour les demandes les plus faibles[7].

Des procédures simplifiées sont applicables en matière de propriété intellectuelle, et notamment une procédure rapide dite fast-track procedure permettant la tenue d’audiences sur une journée et n’impliquant pas de procédure de disclosure. Cette procédure s’applique, soit en vertu d’un accord des parties, soit sur demande d’une seule partie, qui sera examinée par le juge au regard de divers critères (complexité de l’affaire, situation des parties…).

De manière générale, les procédures probatoires et de saisie conservatoire sont beaucoup plus lourdes et difficiles à mettre en œuvre que la procédure de saisie-contrefaçon française (notamment au regard des exigences de preuve imposées aux demandeurs à ces actions). Les mesures recherchées ne sont d’ailleurs pas de droit.

Parmi elles on citera la mesure dénommée Anton Piller order (désormais appelée search order), permettant, sur ordonnance rendue ex parte par la High Court, l’inspection et la saisie de preuves de la contrefaçon dans les locaux du contrefacteur. Il existe une procédure simplifiée dite doorstep order qui, comme son nom l’indique, ne permet pas de pénétrer dans les locaux du contrefacteur, mais seulement de se faire remettre des objets et des documents. Une autre procédure, dite de Mareva injunction (ou freezing injunction) permet de saisir les comptes ou autres biens du défendeur dans l’attente d’un jugement au fond. Ces procédures peuvent être combinées. Bien évidemment, la procédure de disclosure ou discovery permet également d’obtenir des informations sur l’identité de contrefacteurs ou de leur réseau (discovery of names) ou d’autres informations ou documents importants.

On notera que le droit processuel anglais accorde une place importante au comportement des parties dans la phase précontentieuse (au travers notamment des pre-action codes précités). Ainsi l’absence de communication (voire de négociation) préalable avec l’adversaire peut être sanctionnée dans certains cas par le juge. Il en est de même du recours à une procédure qui s’avèrerait totalement disproportionnée au regard des actes reprochés. Des pénalités peuvent même être prononcées.

Le droit anglais prévoit également des règles assez contraignantes obligeant les parties à considérer avec soin les offres transactionnelles (settlement offers) qui leur seraient faites : dans certains cas, et notamment si elles sont supérieures ou inférieures, selon le cas, à la somme finalement allouée par le tribunal, leur destinataire (demandeur ou défendeur) peut être assez lourdement pénalisé pour les avoir refusées.

On notera enfin que le Royaume-Uni est doté d’une législation qui sanctionne les menaces d’action en contrefaçon infondées, au travers de l’Intellectual Property (Unjustified Threats) Act 2017. Cette loi ne concerne que les brevets, les marques et les dessins et modèles. Elle s’applique également aux messages en provenance de l’étranger, lorsque l’acte contrefaisant invoqué est commis sur le territoire du Royaume-Uni, et ce, même si l’action concernée doit être intentée à l’étranger.

 

60._ Remèdes et sanctions (au civil)_ Au civil, l’éventail des remèdes et sanctions est large.

Les injonctions, tout d’abord, peuvent être obtenues à l’issue d’un procès au fond (final ou perpetual injunctions), mais également dans le cadre d’une procédure provisoire (interlocutory injunctions). L’octroi d’une injonction n’est pas de droit. Le remède est donc laissé à la discrétion du juge. C’est surtout vrai pour les injonctions provisoires. Le demandeur à une injonction provisoire doit démontrer au juge qu’il existe une « sérieuse question à trancher au fond » (a serious question to be tried), et que l’octroi d’une injonction est nécessaire compte tenu des éléments du dossier. Tel ne sera pas le cas s’il apparaît que les dommages et intérêts sollicités au fond pourront indemniser la partie de manière suffisante et que le défendeur ne présente aucun risque d’insolvabilité. D’autres éléments sont également pris en compte (comportement du demandeur, délai pour agir, etc.), qui peuvent aboutir au rejet d’une demande qui n’aurait posé aucune difficulté en droit français. A noter que le demandeur doit également en principe s’engager à indemniser la partie enjointe de tout dommage subi par cette dernière s’il venait à échouer au fond. Cet engagement peut être lourd de conséquences, et ne doit pas être pris à la légère. Enfin, l’inexécution volontaire d’une injonction est un contempt of court (outrage au tribunal), qui peut entraîner des sanctions assez lourdes.

Les dommages et intérêts sont en principe compensatoires, et ont pour objet de remettre la victime dans la situation économique où elle se trouvait avant l’acte de contrefaçon litigieux. Seuls les dommages prévisibles et dont le paiement ne s’avère pas contraire à des motifs d’intérêt public ou social sont réparés. Comme indiqué, les Intellectual Property (Enforcement, etc.) Regulations 2006 ont mis en œuvre les dispositions de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 concernant l’évaluation des dommages et intérêts, et donc la possibilité de dommages et intérêt forfaitaires.

Outre les dommages et intérêts compensatoires et forfaitaires, le droit anglais offre deux possibilités intéressantes, mais d’application assez rare : les dommages et intérêts punitifs et les accounts of profits.

Le champ d’application des dommages et intérêts punitifs est assez réduit au Royaume-Uni. Les lois sur les brevets et les marques ne les prévoient pas. En outre, les conditions d’octroi de dommages et intérêts punitifs en common law sont assez restrictives. Par exemple une faute intentionnelle ou dolosive ne suffit pas. Leur attribution est restreinte aux cas de fautes intentionnelles lucratives[8]. La loi de copyright ne prévoit pas l’allocation de dommages et intérêts punitifs mais consacre la possibilité de dommages et intérêts supplémentaires (additional damages), qui semblent de nature punitive. Aucun montant n’est fixé pour ces dommages et intérêts. Il reste que les cas cités font état de condamnations assez faibles, sans commune mesure avec celles prononcées outre-Atlantique[9]. On le voit, la situation est très différente de celle qui prévaut aux États-Unis. La pratique anglaise ne semble d’ailleurs pas très favorable à la mise en œuvre des dommages punitifs. En toute hypothèse le principe d’une condamnation du contrefacteur aux frais de justice (importants) et aux frais d’avocats de l’adversaire (réels ou forfaitisés) remplit un rôle dissuasif non négligeable.

Le droit anglais offre également à la victime d’actes de contrefaçon la possibilité d’obtenir versement des recettes tirées de l’exploitation contrefaisante (account of profits). Mais ce remède est rarement accordé, et la procédure permettant de les obtenir est notoirement onéreuse. Et bien sûr, elle n’a d’utilité qu’en présence de recettes.

 

61._ Les sanctions pénales_ Au Royaume-Uni la contrefaçon n’est sanctionnée pénalement qu’en matière de copyright[10], de droits des artistes interprètes[11] et de marques[12]. L’élément intentionnel est toujours requis, et même renforcé en matière de marques[13].

2. Aux États-Unis

62._ Le contexte procédural (au civil)_ La procédure civile présente aux États-Unis des particularités très fortes, y compris au sein de la famille des droits de common law. Ces particularités portent à la fois sur la présentation de la preuve (procédure de discovery plus large), sur l’audience (présence plus fréquente d’un jury) et sur les sanctions (les dommages et intérêts punitifs étant l’aspect le plus médiatisé). Nous nous concentrerons ici sur certaines particularités propres aux litiges en matière de propriété intellectuelle, et renvoyons pour le surplus aux ouvrages spécialisés.

 

63._ Compétence et procédures (au civil)_ Les règles de compétence en matière de propriété intellectuelle, et notamment l’articulation de la compétence des tribunaux étatiques et des tribunaux fédéraux, sont complexes.

La loi fédérale confère compétence exclusive aux tribunaux fédéraux pour toutes les actions civiles liées à un brevet (y compris brevet de modèles), à une obtention végétale, ou à un copyright (sous réserve, pour le copyright, des dispositions introduite par le CASE Act de 2020, décrites ci-dessous).[14] Leur compétence est en revanche non exclusive (et donc partagée avec les tribunaux étatiques) en matière de marques[15]. La compétence exclusive des juridictions fédérales n’exclut cependant pas totalement la compétence des tribunaux étatiques, notamment lorsque le litige porte sur une question liée à un contrat de propriété intellectuelle. Dans ce cas, un tribunal étatique peut par exemple se prononcer sur la validité ou la contrefaçon du brevet ou du copyright concerné lorsqu’elle est contestée ou opposée par le défendeur[16].

En matière de copyright, le Copyright Alternative in Small-Claims Enforcement Act of 2020 (CASE Act of 2020) a introduit un nouveau chapitre 15 dans le Copyright Act US[17], qui institue un forum alternatif pour certaines actions en contrefaçon de copyright impliquant des demandes de dommages et intérêts inférieures à 30 000 dollars (et relatives à des faits de moins de 3 ans). Le recours à ce mode de règlement requiert l’accord des deux parties. Les litiges doivent concerner les droits exclusifs visés à la section 106 du copyright Act (reproduction, adaptation, distribution et communication au public), à l’exclusion d’autres dispositions de la loi (le texte vise également la section 512 (f) relative aux notifications aux hébergeurs). Ces litiges ne sont pas jugés par les tribunaux fédéraux, mais par un Copyright Claims Board (CCB) établi au sein du Copyright Office, composé de cinq membres, trois Copyright Claims Officers et deux Copyright Claims Attorneys (qui les assistent), nommés respectivement par le Librarian of Congress et le Register of Copyrights. Le CCB se prononce au civil et peut accorder des dommages et intérêts. La représentation par avocat n’est pas obligatoire.

Au niveau fédéral, les tribunaux compétents en première instance sont les cours de district. Les appels sont portés devant  les cours d’appel des circuits concernés. Cependant une Cour d’appel pour le circuit fédéral a été instituée en 1982, avec compétence exclusive en matière de brevets.

Certains litiges en matière de propriété intellectuelle peuvent également être portés devant l’International Trade Commission (ITC), organe administratif habilité à agir contre des actes de concurrence déloyale liés à l’importation de produits aux États-Unis[18]. La possibilité donnée à l’ITC de sanctionner des actes de concurrence déloyale a en effet été interprétée largement et inclut les actes de contrefaçon de marques, déposées ou non, de brevet, de copyright, ainsi que la violation de secrets. Un des avantages de cette procédure réside dans la possibilité d’attraire un fabricant étranger sans avoir à appliquer les règles de compétence de droit commun (personal jurisdiction), et dans la possibilité de sanctionner des ventes en vue de l’importation même sans livraison aux USA[19]. L’ITC peut émettre des injonctions diverses (sous astreinte), mais ne peut accorder des dommages et intérêts. Les appels sont portés devant la Cour d’appel pour le circuit fédéral.

Les parties à une action en contrefaçon ont en principe le droit à un procès devant un jury (trial by jury)[20]. Cependant elles peuvent y renoncer, d’un commun accord, au profit d’un bench trial. Des procédures simplifiées sont applicables en matière de propriété intellectuelle. En réalité, la plupart des litiges en matière de propriété intellectuelle ne vont pas jusqu’à l’audience (trial), et font l’objet soit d’une transaction, soit d’un jugement sommaire (summary judgment). Dans la procédure civile fédérale un summary judgment est un jugement rapide au fond qui peut intervenir en cours de procédure, sur demande de l’une des parties, et sur tout ou partie des demandes ou moyens de défense, lorsque la matérialité des faits ne souffre pas de contestation sérieuse et que la décision ne nécessite pas le recours à un jury (c’est-à-dire lorsque la discussion porte sur le droit applicable aux faits : est matter of law, et non pas matter of fact)[21].

S’agissant des procédures probatoires et de saisie conservatoire, les règles fédérales de procédure permettent, sous certaines conditions, l’inspection des locaux du défendeur (et dans une moindre mesure, de tiers), et d’enjoindre une partie à répondre à des questions (et de fournir certaines informations) dans le cadre de la procédure de discovery[22].

 

64._ Immunité des institutions fédérales_Le principe constitutionnel d’immunité des institutions fédérales est issu du principe de souveraineté des États de l’Union consacré par le 10e amendement à la Constitution (« Les pouvoirs qui ne sont pas délégués aux États-Unis par la Constitution, ni refusés par elle aux États, sont réservés aux États respectivement ou au peuple »). Il signifie qu’une Cour fédérale ne peut juger un litige opposant un particulier à un État de l’Union (ou une institution de cet État) si ce dernier n’y consent pas (le 11e amendement à la Constitution illustre ce principe, mais uniquement pour les poursuites provenant d’un citoyen d’un autre État de l’Union ou d’un citoyen d’un État étranger). Ce principe a des conséquences importantes en matière de propriété intellectuelle, et notamment en matière de copyright, puisqu’il limite la possibilité d’agir devant les juridictions fédérales, exclusivement compétentes dans ce domaine (la règle est plus souple en matière de brevets). Il n’empêche cependant pas d’obtenir réparation auprès des juridictions étatiques, selon le droit local en vigueur (sous réserve de nos remarques finales sur la préemption fédérale en matière de copyright).
La Cour suprême permet cependant la poursuite d’un État devant une Cour fédérale à la double condition (a) que le Congrès ait adopté une loi claire et non équivoque abrogeant le principe d’immunité, et (b) qu’une disposition d’ordre constitutionnel autorise cette limitation de la souveraineté des États (notamment le 14e amendement instituant le droit à une procédure régulière)[23]. En toute hypothèse, l’abrogation doit être proportionnée au préjudice qu’elle entend réparer.

 

65._ Remèdes et sanctions (au civil)_ L’éventail des remèdes et sanctions en cas de contrefaçon d’un droit de propriété intellectuelle est large. Sous réserve des règles générales issues des règles fédérales de procédure, ils sont définis pour chaque droit de propriété intellectuelle. Outre les injonctions et réparations pécuniaires décrites ci-dessous, la nullité du titre peut toujours être prononcée. Les injonctions peuvent être obtenues à l’issue d’un procès au fond (final ou perpetual injunctions), mais également à titre provisoire (interlocutory injunctions). En théorie l’octroi d’une injonction n’est pas de droit. Le remède est donc en principe laissé à la discrétion du juge. Cependant, une injonction au fond est toujours accordée, sauf en matière de contrefaçon de brevet, depuis la décision de la Cour suprême de 2006 dans l’affaire eBay Inc. V. MercExchange L.L.C.[24]. Ainsi, dans certains cas, notamment lorsque le breveté n’exploite pas l’invention (et par exemple dans le cas de patent trolls), la mise en balance de l’intérêt public et des intérêts du breveté peut aboutir au refus d’accorder une injonction, ce qui, de facto, impose au breveté d’accorder une licence (dont les termes seront négociés)[25].

Les injonctions peuvent porter sur la remise, la destruction, la rectification ou l’altération des produits contrefaits, la modification des technologies mises en cause, une correction des publicités et des mesures de publication du jugement, le rappel de produits, des saisies de produits contrefaits ou de biens du contrefacteur, etc.

Les dommages et intérêts[26] sont par principe compensatoires (actual damages and profits). Au-delà des gains manqués (lost profits), ou en cas d’impossibilité à prouver ces pertes, ils correspondant à une redevance raisonnable (reasonable royalty)[27], et ne doivent alors pas être inférieurs à cette redevance, calculée le plus souvent par référence à une négociation hypothétique entre les parties.

La loi prévoit également des dommages et intérêts punitifs (enhanced damages) ou des dommages et intérêts forfaitaires (statutory damages). Les dommages et intérêts punitifs sont prévus en matière de brevet[28], si la position du contrefacteur est objectivement déraisonnable et démontre sa mauvaise foi (ce qui est plus large que la contrefaçon intentionnelle). Pour les marques, l’Anticounterfeiting Consumer Protection Act de 1996 permet au demandeur d’opter pour des dommages et intérêts forfaitaires calculés par marque contrefaite pour chaque type de produit ou service commercialisé[29]. En copyright le demandeur peut également choisir des statutory damages[30], mais à la condition que l’œuvre ait été enregistrée au copyright office[31].

La victime d’actes de contrefaçon a la possibilité d’obtenir le versement des recettes tirées de l’exploitation contrefaisante (accounting of profits)[32],

Enfin, une condamnation au remboursement des frais d’avocats et aux frais de procédure peut toujours être prononcée[33]. Elle intervient en principe de manière exceptionnelle, en cas de mauvaise foi, de faute intentionnelle ou lorsqu’une partie a dû se défendre contre une demande formulée avec légèreté (frivolous claim)[34]. Elle peut ainsi servir à sanctionner certaines actions de trolls de propriété intellectuelle[35].

 

66._ Les sanctions pénales_ Aux États-Unis des sanctions pénales pour contrefaçon sont prévues au niveau des Etats et au niveau fédéral. Les sanctions prévues par les lois étatiques ne concernent que les marques. Au niveau fédéral, les sanctions couvrent la contrefaçon de copyright[36] et de marques[37], mais pas la contrefaçon de brevets (utility, plant et design patents). L’élément intentionnel est toujours requis.

 


  1. Pour des développements transversaux plus complets, mais qui restent synthétiques (pour le Royaume-Uni uniquement) : Cornish, Partie I, Chap. 2 (The enforcement of rights), J. Lambert, Enforcing Intellectual Property Rights, Gower 2016.
  2. R. Buchan, G. Gill, « Intellectual property disputes in Scotland », Journal of Intellectual Property Law & Practice 6, nᵒ 2 (2011), 120‑27; « Scotland’s new regime for effective intellectual property dispute resolution ». Journal of Intellectual Property Law & Practice 8, nᵒ 5 (2013), 383‑87.
  3. V. infra n°166.
  4. SI/2006 n°1028.
  5. Et qui remplace les Patent County Courts, tout en héritant d’une compétence plus étendue.
  6. Maximum de dommages et intérêts de 500.000 £, sauf un accord entre les parties.
  7. Inférieures à 10.000 £.
  8. A ce titre, il est intéressant de souligner que les auteurs du rapport britannique à l’AIPPI sur les dommages punitifs indiquaient en 2005 ne pas avoir connaissance d’une jurisprudence les appliquant en matière de brevets et de marques.
  9. Deux à trois fois le montant des dommages compensatoires, eux-mêmes assez faibles en l’espèce (Source : Rapport AIPPI précité).
  10. CDPA 1988, s.107.
  11. CDPA 1988, s.198.
  12. Trade Marks Act 1994, s. 92, 94 et 95.
  13. Trade Marks Act 1994, s. 92 (le contrefacteur doit avoir pour objectif de réaliser un « gain » ou de causer à autrui une « perte »).
  14. 28 U.S.C. § 1338.
  15. Ibid.
  16. En matière de brevets: Pratt v. Paris Gaslight & Coke Co., 168 U.U. 255, 261 (1897); Becher v. Contoure Labs, 279 US 388, 391 (1929) ; Intermedics Infusaid, Inc. V. University of Minnesota, 804 F.2d 129, 133 (Fed. Cir. 1986) ; Finch v. Hughes Aircraft Co., 926 F.2d 1574, 1581 (Fed. Cir. 1991). En matière de copyright, v. par exemple Durgom v. Janowiak, 74 Cal. App. Ath 178, 186, 87 Cal. Rptr. 2d 619 (1999) (interprétation des règles fédérales sur le renouvellement du copyright dans le cadre d’un litige portant sur le paiement de royalties).
  17. 17 U.S.C. § 1501 à 1511.
  18. Habilitation en vertu de 19 U.S.C. § 1337
  19. Enercon GmbH v. ITC, 151 F.3d 1376 (Fed. Cir. 1998), cert. denied, 526 U.S. 1130 (1999).
  20. Markman v. Westview Instruments, Inc., 517 U.S. 370, 377 (1996).
  21. Federal Rule of Civil Procedure, s. 56(a). A. S. Katz, « Summary Judgement Practice in Intellectual Property Cases Part One: Copyright », 1 Loyola of Los Angeles Entertainment Law Journal 7 (1981).Fed. R. Civ. P. 56(a).
  22. Federal Rule of Civil Procedure, s. 26(a)(5) & (b), 34(a) et 45.
  23. Pour un rappel et une application de ces règles, V. l'arrêt de la Cour suprême Frederick L. Allen v. Roy A. Cooper, III, Governor of North Carolina (589 US (2020))
  24. 547 U.S. 388 (2006). V. infra n°362.
  25. Ibid.
  26. G. M. Ropski, M. S. Cooperman, « Damages in USA Intellectual Property Litigation », 72 J. Pat. & Trademark Off. Soc'y 181 (1990).
  27. 35 U.S.C. § 284 (brevets), 17 U.S.C. § 504(a) (copyright).
  28. 35 U.S.C. § 284.
  29. 15 U.S.C. §1117(c). Fourchette allant de 1,000 à 200,000 $ mais pouvant aller jusqu’à 2,000,000 $ en cas de contrefaçon intentionnelle.
  30. 17 U.S.C. § 504(c). De 750 à 30.000 dollars, pouvant aller jusqu’à 150.000 dollars en cas de contrefaçon intentionnelle. La démonstration de la bonne foi permet de diminuer la somme jusqu’à 200 dollars.
  31. 17 U.S.C. § 504(a).
  32. 35 U.S.C. § 284 (brevets), 15 U.S.C. § 1117(a) (marques).
  33. 35 U.S.C. § 285 (brevets), 15 U.S.C. § 1117(a) (marques), 17 U.S.C. § 505 (copyright)
  34. 35 U.S.C. § 285 pour les brevets; 15 U.S.C. § 1117 pour les marques; 17 U.S.C. § 505 pour le copyright.
  35. V. par exemple en matière de copyright, Bell v. Eagle Mt. Saginaw Indep. Sch. Distr., 27 F.4th 313 (5th Cir. 2022), cité in P. Kamina, 1 an de droit anglo-américain des propriétés intellectuelles, Comm. comm. électr. fév. 2024, à propos d'une action jugée abusive contre un établissement d'enseignement (agissements visiblement couverts par le fair use et l'exception de minimis) : « La Cour de district n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation en suivant la règle de droit commun. Bell n'est pas le demandeur type à une action en contrefaçon de droit d'auteur, à la recherche d'un « juste retour pour [son] travail créatif ». Voir Twentieth Cent. Music Corp. c. Aiken, 422 U.S. 151, 156, 95 S.Ct. 2040, 45 L.Ed.2d 84 (1975). Il a une longue histoire de poursuites contre des institutions publiques et des organisations à but non lucratif pour des utilisations de minimis de son travail. Compte tenu de ces affaires, la Cour de District a raisonnablement considéré que Bell est un « plaideur en série », qui formule demandes exorbitantes en dommages-intérêts dans l'espoir d'obtenir des paiements disproportionnés. Cette affaire en est une autre illustration. L'école a partagé une seule page du travail de Bell avec moins de 1 000 abonnés en ligne, et a immédiatement supprimé les messages une fois la demande de Belle reçue. Bell n'a pas été en mesure d'identifier un préjudice financier réel associé à cette utilisation, mais a tout de même intenté une action. Les honoraires d'avocat constituaient donc un moyen de dissuasion approprié, tant à l'égard de Bell que d'autres titulaires de droits d'auteur qui pourraient envisager une stratégie contentieuse similaire (a similar business model of litigation)» (notre traduction dans Comm. comm. électr., fév. 2024, précité).
  36. 17 U.S.C. § 506.
  37. Le Trademark Counterfeiting Act de 1984 (18 U.S.C. § 2320) incrimine la contrefaçon servile (counterfeiting) des marques déposées et des symboles olympiques (18 U.S.C. §2320(e)(1)(B); 36 U.S.C. § 220706). Des incriminations sont également prévues par le Piracy and Counterfeiting Act (18 U.S.C. § 2318, étiquetages contrefaits de programmes d’ordinateurs, de films ou de phonogrammes). Il faut enfin tenir compte de la sanction des actes d’espionnage économique par l’Economic Espionage Act de 1996 (18 U.S.C. §§ 1831-1832).