Introduction générale

 

 

1._ Présentation de l’ouvrage_ Les régimes de protection de la propriété intellectuelle dans les pays de common law restent largement méconnus des juristes français. Si l’on excepte plusieurs ouvrages en langue française consacrés à certains aspects de la protection, principalement aux États-Unis[1], aucune étude d’ensemble de ces régimes n’a été proposée[2]. C’est l’ambition de cet ouvrage, consacré à l’ensemble des formes de protections relevant de la propriété intellectuelle, mais également de ses satellites (indications d’origine, concurrence déloyale, secrets d’affaires). La tâche est difficile, voire impossible, car dans ce domaine les législations concernées, si elle présentent des caractéristiques communes, sont également très diverses. Notre approche sera donc raisonnable. Sous réserve de quelques incursions dans d’autres pays, nous n’aborderons ici que les modèles constitués par les droits applicables au Royaume-Uni et aux États-Unis d’Amérique. Le choix du premier s’impose, pour des raisons historiques, mais également en raison de son influence, notamment sur les pays qui font partie du Commonwealth of Nations (Commonwealth)[3]. L’étude du second se justifie par l’importance de l’économie américaine dans le commerce mondial, et par ses  innovations ou particularités notables dans la protection des biens intellectuels.

Par ailleurs, ces modèles ont subi des réformes importantes sur les dernière décennies, qui justifient une mise à jour des études anciennes.

Le droit applicable au Royaume-Uni a ainsi été profondément transformé, et devrait encore subir des changements importants dans les années qui viennent. En matière de copyright, la loi de 1988 (le Copyright, Designs and Patents Act 1988) avait déjà innové, en consacrant notamment des droits moraux et une protection renforcée des artistes-interprètes. La transposition des directives communautaires dans ce domaine a modifié le schéma de protection applicable, en introduisant des droits et des concepts jusque là absents du droit national. Le Royaume-Uni a également entrepris, au travers de la loi de 1988 et de la transposition de la directive 98/71/CE, une réforme complète de son droit des dessins et modèles (déposés et non déposés). En matière de brevets, la réforme fondamentale, issue du Patent Act 1977, et influencée par les conventions de Munich et de Luxembourg, est plus ancienne. Elle n’en a pas moins été profonde. Enfin, le droit des marques déposées a été presqu’entièrement reformulé par le Trade Marks Act 1994. Il faut désormais ajouter à cet ensemble les effets du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne (Brexit), qui vont très certainement renforcer les particularités locales[4].

L’évolution a également été importante aux États-Unis. Le copyright, qui avait fait l’objet d’une réforme complète en 1976, y a subi des modifications significatives du fait de l’adhésion des États-Unis à la convention de Berne en 1988[5] et de lois d’adaptation à l’internet, notamment au travers du Digital Millennium Copyright Act de 1998[6]. Il s’adapte désormais aux dernières évolutions technologiques, au travers d’une jurisprudence à la pointe des grandes questions de l’époque (interopérabilité, intelligence artificielle générative…). Le droit des brevets a également connu des évolutions importantes : d’un point de vue procédural, tout d’abord, par la création, en 1982, d’une Cour d’appel pour le Circuit fédéral ayant compétence exclusive dans ce domaine ; sur le fond, ensuite, dans le champ de la brevetabilité et par l’effet de l’America Invents Act de 2011 (qui marque le passage à un système d’inventeur-premier déposant)[7]. Sa jurisprudence sur les questions de biotechnologie et de numérique est particulièrement riche, et largement observée. Quant au droit des marques, il a été enrichi par l’adoption de nouvelles procédures de dépôt en 1988 (intent-to-use trademark procedures)[8], et a subi une extension importante au travers de l’Anti-Cybersquatting Consumer Protection Act de 1999 et du Federal Trademark Dilution Act de 1995, suivis du Trademark Dilution Revision Act de 2006[9].

 

2._ Droits anglo-américains / droits de common law_ La famille des droits anglo-américains comprend (sous réserve de particularités locales, comme en Écosse ou au Québec par exemple) le Royaume-Uni, les États-Unis d’Amérique, l’Australie, le Canada, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande et de nombreux pays membres ou issus du Commonwealth[10]. Elle se caractérise, du moins pour ce qui correspond au droit privé, par l’existence d’un corps de règles de portée assez large issues de la jurisprudence, la common law, par l’imbrication des règles procédurales et de fond, par l’absence de codification systématique et raisonnée du droit, par une influence très limitée du droit romain, et par une conception (majoritaire) assez différente de la règle de droit et de l’intervention du législateur. En outre, ces systèmes connaissent de nombreuses institutions qui leur sont propres, notamment en droit des biens (on pense bien sûr au trust) et en procédure, civile et pénale.

L’expression « droits anglo-américains » est souvent préférée par les juristes de common law et les comparatistes d’Outre-Manche et d’Outre-Atlantique à l’expression « droits de common law ». Elle permet de souligner l’existence, dans cette famille, des deux modèles principaux que constituent le droit anglais et le droit des États-Unis d’Amérique. Elle est particulièrement pertinente dans notre domaine, tant les différences entre ces modèles sont importantes. Nous utiliserons cependant indifféremment les deux expressions[11].

 

3._ Plan de la partie introductive_ Nous nous attacherons dans un premier temps à définir les caractéristiques communes des droits anglo-américains de la propriété intellectuelle et à en identifier les modèles (Chapitre I). Nous ferons ensuite une présentation rapide des différentes catégories de droits protégés et aborderons les fondements et la nature juridique de la protection (Chapitre 2). Nous examinerons ensuite le cadre constitutionnel et international applicable (Chapitre 3), avant de traiter de questions transverses, relatives aux cumuls et conflits de droits (Chapitre 4). Nous consacrerons enfin quelques développements indispensables aux procédures et sanctions applicables dans ce domaine (Chapitre 5).

 


  1. Pour les ouvrages les plus récents, J.-M. Bruguière, Le droit du copyright anglo-américain, 2ème ed., Dalloz 2023 ;  I. De Lamberterie, M. Cornu, P. Sirinelli, C. Wallaert, Dictionnaire comparé du droit d’auteur et du copyright, CNRS éditions 2003 ; Y. Gendreau, La protection des photographies en droit d’auteur français, américain, britannique et canadien, Paris, LGDJ 1994; A. Strowel, Droit d'auteur et copyright, Divergences et convergences, LGDJ, 1993; S. Roux-Vaillard, Les jurisprudences française et américaine comparées en matière de conditions de brevetabilité, PUF Strasbourg 2003 ; A. Bouju, Le brevet américain, Jupiter 1988. On relèvera cependant un nombre croissant de thèses de doctorat abordant les systèmes étrangers; il ne sera pas possible de les citer ici.
  2. V. cependant J.-L. Piotraut, La propriété intellectuelle en droit international et comparé (France, Allemagne, Royaume-Uni, États-Unis), Lavoisier 2007.
  3. V. infra, n°2.
  4. V. infra, n°31 à 37.
  5. V. infra n°90.
  6. Ibid.
  7. V. Tome 2, et 1ère éd. 2017, n°323.
  8. V. Tome 3, et 1ère éd. 2017, n°421.
  9. V. Tome 3, et 1ère éd. 2017, n°448, 449.
  10. Rappelons que le Commonwealth est une organisation intergouvernementale, qui réunit la plupart des anciennes colonies ou protectorats britanniques (mais ni les États-Unis ni l’Irlande par exemple). Liste des Etats du Commonwealth.
  11. Précisons que la common law ne tient qu’une place réduite dans la propriété intellectuelle, principalement définie par la loi écrite. Il reste que certains de ses aspects ou les habitudes de raisonnement qu’elle a induites chez les juristes locaux ont fortement influencé le Législateur.