12 La protection du design dans les autres systèmes

 

 

298._ Introduction _ Comme nous l’avons vu, dans les systèmes de common law la question du cumul entre le copyright et la protection spécifique des dessins ou modèles est généralement résolue dans le sens d’une exclusion assez large des œuvres fonctionnelles ou utilitaires du champ de la protection. À notre connaissance, aucune législation de copyright ne met en place un cumul similaire à celui proposé par le droit français et certains systèmes de droit d’auteur. Les lois de copyright de l’Irlande[1], de l’Afrique du Sud[2], de l’Australie[3], du Canada[4], de l’Inde[5], de Hong Kong[6] et de la Nouvelle-Zélande[7] limitent les œuvres artistiques aux seules catégories visées par la loi anglaise (et notamment aux works of artistic craftsmanship), et limitent par ailleurs, d’une façon ou d’une autre, la possibilité ou la portée d’un cumul de protection. La protection spécifique est cependant assurée de manière assez différente par les législations extérieures à l’Union européenne, notamment s’agissant de l’exclusion des designs fonctionnels ou du régime des pièces détachées. Les durées de protection sont généralement plus courtes, de l’ordre de dix à quinze 15 ans[8]. Nous prendrons ici l’exemple de l’Australie et du Canada.

 

299._ La protection des dessins et modèles en Australie_ En Australie le Designs (Consequential Amendments) Act 2003 a modifié le Copyright Act sur la question du cumul entre copyright et droit spécifique sur les dessins et modèles déposés en supprimant la protection par copyright pour les œuvres artistiques exploitées commercialement en tant que modèles en trois dimensions[9]. Cependant, les œuvres artistiques exploitées en tant que dessins (two-dimensional designs) continuent à recevoir protection par copyright, et peuvent également être protégés par le droit spécifique s’ils sont déposés. L’exclusion du champ de la protection par copyright est donc similaire à celui opéré par la loi anglaise.

La protection des dessins et modèles déposés est régie par le Designs Act 2003, qui s’est substitué au Designs Act 1906. Cette loi a institué un système d’enregistrement modifié et a apporté plusieurs modifications importantes au régime antérieur.

Le design est défini comme « l’apparence globale du produit résultant d’une ou plusieurs caractéristiques visuelles du produit »[10]. Ces caractéristiques visuelles incluent la forme, la configuration, le dessin ou l’ornementation du produit. La définition couvre donc à la fois les formes et les décorations de surface. Le dessin ou modèle doit être nouveau et distinctif (new and distinctive)[11]. La loi n’exclut pas l’enregistrement des designs fonctionnels[12]. Les pièces composantes d’un produit complexe peuvent faire l’objet d’un dépôt, mais une exception très large de réparation permet la fabrication et la fourniture de pièces détachées dans ce but[13].

La procédure d’enregistrement est simple, et ne donne pas lieu à examen des conditions de fond. Une demande d’examen peut cependant être formée à tout moment à compter de la délivrance du titre[14]. Cet examen est une condition préalable à toute action en contrefaçon[15]. À noter que la loi prévoit également une possibilité de publier le dessin ou modèle, sans le déposer. Cette publication ne confère aucun droit mais permet, par la divulgation qu’elle opère, d’empêcher le dépôt de dessins ou modèles similaires.

La durée de protection est de cinq ans renouvelables une fois (soit dix ans au maximum)[16]. Le test de contrefaçon implique la démonstration d’une « impression d’ensemble identique ou substantiellement similaire » entre les designs concernés[17].

L’Australie n’a pas mis en place un unregistered design right sur le modèle du droit anglais ou du règlement européen de 2001.

 

300._ La protection des dessins et modèles au Canada_ Au Canada la loi sur le droit d’auteur contient des dispositions sur les objets utilitaires, aboutissant à une large exclusion des œuvres de l’art appliqué du champ de la protection. L’article 64(2) de la loi prévoit ainsi que :

« Ne constitue pas une violation du droit d’auteur ou des droits moraux sur un dessin appliqué à un objet utilitaire, ou sur une œuvre artistique dont le dessin est tiré, ni le fait de reproduire ce dessin, ou un dessin qui n’en diffère pas sensiblement, en réalisant l’objet ou toute reproduction graphique ou matérielle de celui-ci, ni le fait d’accomplir avec un objet ainsi réalisé, ou sa reproduction, un acte réservé exclusivement au titulaire du droit, pourvu que l’objet, de par l’autorisation du titulaire – au Canada ou à l’étranger – remplisse l’une des conditions suivantes :

a) être reproduit à plus de cinquante exemplaires ;

b) s’agissant d’une planche, d’une gravure ou d’un moule, servir à la production de plus de cinquante objets utilitaires. »

La fonction utilitaire est définie comme la « fonction d’un objet autre que celle de support d’un produit artistique ou littéraire »[18]. L’objet utilitaire est quant à lui défini comme un « objet remplissant une fonction utilitaire, y compris tout modèle ou toute maquette de celui-ci »[19].

L’exclusion de la protection ne s’applique pas au droit d’auteur ou aux droits moraux sur une œuvre artistique dans la mesure où elle est utilisée à l’une ou l’autre des fins suivantes :

a) représentations graphiques ou photographiques appliquées sur un objet ;

b) marques de commerce, ou leurs représentations, ou étiquettes ;

c) matériel dont le motif est tissé ou tricoté ou utilisable à la pièce ou comme revêtement ou vêtement ;

d) œuvres architecturales qui sont des bâtiments ou des modèles ou maquettes de bâtiments ;

e) représentations d’êtres, de lieux ou de scènes réels ou imaginaires pour donner une configuration, un motif ou un élément décoratif à un objet ;

f) objets vendus par ensembles, pourvu qu’il n’y ait pas plus de cinquante ensembles ;

g) dans le cas d’autres œuvres ou objets désignés par règlement[20].

Par ailleurs, des exceptions propres aux objets utilitaires sont inscrites à l’article 64.1, qui dispose que « ne constitue pas une violation du droit d’auteur ou des droits moraux sur une oeuvre le fait :

a) de conférer à un objet utilitaire des caractéristiques de celui-ci résultant uniquement de sa fonction utilitaire;

b) de faire, à partir seulement d’un objet utilitaire, une reproduction graphique ou matérielle des caractéristiques de celui-ci qui résultent uniquement de sa fonction utilitaire;

c) d’accomplir, avec un objet visé à l’alinéa a) ou avec une reproduction visée à l’alinéa b), un acte réservé exclusivement au titulaire du droit;

d) d’utiliser tout principe ou toute méthode de réalisation de l’oeuvre[21]».

La protection spécifique des dessins et modèles déposés est quant à elle assurée par la Loi sur les dessins industriels (Industrial Design Act)[22]. Cette loi a été modifiée à compter du 5 novembre 2018 par l’effet de la Loi n° 2 sur le plan d’action économique de 2014[23], qui l’a notamment mise en conformité avec l’Acte de Genève (1999) de l’Arrangement de La Haye, auquel le Canada a adhéré le 16 juillet 2018. Les autres modifications apportées à cette occasion portent sur le contenu des demandes d’enregistrement des dessins, les demandes de priorité et la durée du droit exclusif. La réforme a également substitué la nouveauté à l’ancien critère d’originalité[24]. Elle a été achevée par l’adoption en 2018 d’un Règlement sur les dessins industriels, pris en application de la loi[25]. Les règles décrites ci-dessous sont celles applicables depuis le 5 novembre 2018.

Les dessins y sont définis par la loi sur les dessins industriels comme les « caractéristiques ou la combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la forme, configuration, le motif ou les éléments décoratifs. »[26]. Ne peuvent être enregistré les dessins exclusivement fonctionnels et les dessins contraire à la morale ou à l’ordre public[27].

La condition de protection est la nouveauté [28], tempérée par un délai de grâce de 12 mois [29].

La demande fait l’objet d’un examen complet[30]. Le Bureau des dessins industriels examine la régularité formelle de la demande, si l’objet du dessin est admissible à l’enregistrement, si le dessin a été créé par le demandeur ou son prédécesseur en titre, et la condition de nouveauté.

L’auteur d’un dessin en est le premier propriétaire, à moins que, pour contrepartie à titre onéreux, il ne l’ait exécuté pour une autre personne, auquel cas celle-ci en est le premier propriétaire[31]. L’enregistrement peut être demandé par le premier propriétaire ou le propriétaire subséquent.

Les droits exclusifs comportent le droit de fabriquer, d’importer à des fins commerciales, de vendre, de louer ou d’offrir ou exposer en vue de la vente ou la location un objet pour lequel un dessin a été enregistré et auquel est appliqué le dessin ou un dessin ne différant pas de façon importante de celui-ci[32]. La loi ne prévoit aucune exception. Le principe d’épuisement des droits est judiciaire et prend la forme de licences tacites.

Les droits sont conférés pour une durée de dix ans à compter de la date d’enregistrement du dessin ou, si elle est postérieure, à la date d’expiration de la période de quinze ans suivant la date de dépôt de la demande[33]. Le maintien des droits au-delà de cinq ans nécessite le paiement d’une redevance supplémentaire. Les transferts doivent être inscrits pour être opposables aux tiers[34].

La loi ancienne imposait le marquage des produits protégés, sous forme d’un « D » dans un cercle suivi du nom du propriétaire. Le marquage n’est plus une obligation, mais il conserve une utilité. En effet une injonction ne peut être accordée au demandeur si le défendeur démontre que, lors de la survenance des faits reprochés, il ignorait (ou ne pouvait raisonnablement savoir) que le dessin avait été enregistré[35]. Or cette règle n’est pas applicable en présence d’un marquage[36].

Enfin, le Canada n’a pas non plus mis en place un unregistered design right sur le modèle du droit anglais ou du règlement européen de 2001.


  1. Copyright and Related Rights Act 2000, s. 2 (définition des œuvres artistiques) et s. 79 (limitation du copyright dans les dessins d’œuvres utilitaires).
  2. Copyright Act 98 de 1978, s. 1(1) (définition des œuvres artistiques) et s. 15(3A) (exclusion large de la protection pour les reproductions en trois dimensions d’œuvres artistiques ayant une fonction utilitaire et fabriquées par un procédé industriel).
  3. V. supra  277 (définition des œuvres artistiques) et infra  299.
  4. V infra 300.
  5. Loi de 1957, s. 2(c) (définition des œuvres artistiques), s. 15(1) (exclusion de la protection pour les designs enregistrés en vertu du Design Act) et s. 15(2) (exclusion de la protection pour les designs susceptibles d’être enregistrés en vertu du Design Act et produits à plus de 50 exemplaires).
  6. Loi de copyright, s. 5 (définition des œuvres artistiques), s. 87 (limitation du copyright sur les œuvres artistiques correspondant à des modèles exploités industriellement – droit de s’opposer à la fabrication de ces modèles à partir de l’œuvre artistique – à vingt-cinq ans si le modèle est déposé et à 15 ans s’il n’est pas déposé).
  7. Copyright Act 1994, s. 2(1) (définition des œuvres artistiques), s. 74 (exception permettant la fabrication d’un objet à partir d’une œuvre littéraire ou artistique si cette dernière est incluse dans la description d’un brevet ou d’un modèle expiré), et s. 75 (exception limitant la portée effective du copyright sur des œuvres artistiques exploitées industriellement sous forme d’objets – en principe plus de cinquante copies – à seize ou vingt-cinq ans, selon le cas ; ne porte que sur le droit de s’opposer à la fabrication de l’objet à partir de l’œuvre).
  8. Jusqu’à dix ans en Australie et au Canada, jusqu’à quinze ans en Inde, en Nouvelle-Zélande et à Singapour, et jusqu’à vingt-cinq ans à Hong Kong. En Afrique du Sud la durée est de dix ans pour les designs fonctionnels et de quinze ans pour les designs ornementaux.
  9. Copyright Act, 1968, s. 75 et s. 77.
  10. Designs Act 2003, s. 6.
  11. Designs Act 2003, s. 15.
  12. Designs Act 2003, s. 7(2) : « A visual feature may, but need not, serve a functional purpose. »
  13. Designs Act 2003, s. 72(1).
  14. Designs Act 2003, s. 63(1).
  15. Designs Act 2003, s. 73.
  16. Designs Act 2003, s. 46-47.
  17. Designs Act 2003, s. 71(1)(a), 71(3), 19(1).
  18. Loi sur le droit d'auteur, art. 64(1).
  19. Ibid.
  20. Loi sur le droit d'auteur, art. 64(3).
  21. Le même article précise que ces exceptions ne visent pas le droit d’auteur ou, le cas échéant, les droits moraux sur tout enregistrement sonore, film cinématographique ou autre support, à l’aide desquels l’oeuvre peut être reproduite, représentée ou exécutée mécaniquement.
  22. L.R.C., 1985, ch. I-9.
  23. LC 2014, c 39.
  24. Ancien art. 7(3), déjà mélangée de nouveauté.
  25. DORS/2018-120.
  26. Loi sur les dessins industriels, art. 2. L'objet (article) est quant à lui défini au même article comme « tout ce qui est réalisé à la main ou à l'aide d'un outil ou d'une marchine ». L'objet fini n'a pas à être utile
  27. Loi sur les dessins industriels, art. 7: « Un dessin peut être enregistré si les conditions ci-après sont remplies : a) la demande a été déposée conformément à la présente loi; b) le dessin est nouveau au sens de l’article 8.2; c) il a été créé par le demandeur ou son prédécesseur en titre; d) il comprend des caractéristiques autres que celles résultant uniquement de la fonction utilitaire de l’objet fini en cause; e) il n’est pas contraire à la morale ou à l’ordre public ». En revanche, la protection s'étend bien à la fonction utilitaire d'un dessin: Zero Spill Systems inc. v. Heide, 2015 FCA 115, qui relève que « l'objet même de la Loi sur les dessins industriels est d'accorder une protection résiduelle aux dessins fonctionnels qui seraient, en l'absence de l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C‑42, assujettis à la protection du droit d'auteur ». (para 25).
  28. Loi sur les dessins industriels, art. 8(2): « 8.2 (1) Le dessin visé par une demande d’enregistrement est nouveau si le même dessin — ou un dessin ne différant pas de façon importante de celui-ci — appliqué à l’objet fini visé par la demande ou à un objet fini analogue : a) n’a pas, plus de douze mois avant la date de priorité du dessin visé par la demande, fait l’objet, de la part de l’une des personnes ci-après, d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs : (i) la personne qui a déposé la demande, (ii) son prédécesseur en titre, (iii) un tiers ayant obtenu, de façon directe ou autrement, de l’une de ces personnes l’information à l’égard du dessin visé par la demande; b) n’a pas, avant cette date de priorité, fait l’objet, de la part d’une autre personne, d’une telle communication; c) sous réserve des règlements, n’a pas été divulgué dans une demande d’enregistrement d’un dessin dont la date de priorité est antérieure à cette date de priorité, déposée au Canada. »
  29. Ibid.
  30. Loi sur les dessins industriels, art. 5(1).
  31. Loi sur les dessins industriels, art. 12(1).
  32. Loi sur les dessins industriels, art. 11. Le même article précise que, dans ce cadre, il peut être tenu compte, pour déterminer si les différences sont importantes, de la mesure dans laquelle le dessin enregistré est différent de dessins publiés auparavant.
  33. Loi sur les dessins industriels, art. 10.
  34. Loi sur les dessins industriels, art. 14(4): « Le transfert d’un dessin enregistré qui n’a pas été inscrit est nul à l’égard d’un cessionnaire subséquent si le transfert du dessin à celui-ci a été inscrit ».
  35. Loi sur les dessins industriels, art. 17(1).
  36. Loi sur les dessins industriels, art. 17(2).