4 La protection par brevet

 

 

428._ La protection des plantes par brevet aux Royaume-Uni_ Au Royaume-Uni l’étendue de la protection des inventions dans le domaine végétal est largement déterminée par les dispositions pertinentes de la CBE (article 53(a) et (b)) et de la directive 98/44/CE, et par l’interprétation qui en a été donnée[1]. Le régime qui en découle peut être résumé comme suit.

Comme point de départ, les variétés végétales (définies comme les variétés visées par le droit spécifique[2]) et les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention de végétaux ne sont pas brevetables[3].

En revanche, les inventions portant sur des végétaux sont brevetables si la faisabilité technique de l’invention n’est pas limitée à une variété végétale[4]. De même, un ensemble végétal caractérisé par un gène déterminé (et non par l’intégralité de son génome), n’est pas couvert la protection spécifique, et n’est donc n’est pas exclu de la brevetabilité, même s’il comprend des variétés végétales[5]. Ce qui permet la protection de variétés végétales génétiquement modifiées[6].

Les dispositions de la directive 98/44/CE sur les revendications portant sur des séquences d’ADN ont été transposées en droit interne, et sont applicables dans ce domaine (sous réserve des effets, déjà décrits, du Brexit). Ainsi, une séquence de gènes isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique est brevetable, même lorsqu’elle préexistait à l’état naturel[7], à la condition toutefois que son application industrielle soit concrètement exposée dans la demande de brevet[8].

S’agissant de l’étendue des brevets dans ce domaine, le Patents Act confirme que la protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique, par hypothèse une plante, dotée par l’invention de propriétés déterminées, s’étend à toute plante obtenue par reproduction ou multiplication, sous forme identique ou différenciée, et dotée de ces mêmes propriétés[9].

Le Patents Act a également transposé le privilège de l’agriculteur prévu à l’article 11 de la directive[10]. Le principe d’épuisement prévu à l’article 10 de la directive est également applicable[11].

Nous renvoyons pour le surplus à nos développements sur le droit commun des brevets au Royaume-Uni.

 

429._ La protection des plantes par brevet aux Etats-Unis_ Les inventions dans le domaine végétal peuvent faire l’objet aux États-Unis de deux formes de brevets. Le brevet d’invention de droit commun, d’une part, et le brevet de plante, d’autre part.

 

430._ Le brevet d’invention (utility patent)_ Comme indiqué[12], sous réserve de l’exclusion introduite par le Leahy-Smith America Invents Act (AIA) concernant les organismes humains le Patent Act ne prévoit aucune exclusion en matière de brevetabilité du vivant, ni aucune exclusion en matière de biotechnologie. Les seules limites en la matière sont liées à l’exclusion de la brevetabilité des découvertes et aux critères de brevetabilité. L’USPTO a commencé à accepter des inventions consistant dans des plantes à partir des années quatre-vingt et de la décision Charkrabarty de la Cour suprême[13]. La difficulté propre aux plantes tenait à l’existence de deux protections spécifiques, dont on pouvait se demander si elles n’étaient pas exclusives d’une protection par brevet d’utilité. La possibilité d’obtenir un brevet d’utilité pour une plante a été reconnue pour la première fois en 1985 par le Board of Patent Appeals and Interferences de l’USPTO dans l’affaire Ex parte Hibberd[14], à propos de plants de maïs, de semences et des cultures de tissus végétaux contenant un acide aminé en quantité supérieure. Elle sera confirmée par la Cour suprême en 2001 dans l’affaire JEM AG Supply, Inc. v. Pioneer[15], qui précisera à cette occasion que ni Plant Patent Act de 1930 ni le Plant Variety Protection Act ne limitent le champ du brevet d’utilité[16].

Le droit des brevets d’utilité ne contient aucune règle propre aux inventions dans le domaine végétal. Cependant les demandes portant sur un matériel biologique sont soumises à des exigences renforcées en matière de dépôt, au regard de l’exigence de description[17].

La protection par brevet d’utilité présente, pour le titulaire des droits, des avantages sur le plant patent et la protection offerte par le Plant Variety Protection Act: absence d’exclusions, brevet pouvant affecter plus d’une variété, possibilité de couvrir les parties de la plante (fleurs et les fruits) et les semences, et surtout monopole plus large. Notamment, dans la mesure où la doctrine de first sale (épuisement) ne couvre que le produit vendu, à l’exclusion des produits issus (même par génération naturelle) de ces produits, le réensemencement par un fermier de son champ au moyen de semences couvertes par un brevet est constitutif de contrefaçon[18]. De même, en matière de brevets d’utilité la possibilité d’usage a titre expérimental est très réduite[19].

 

431._ Le brevet de plante (plant patent)_ Le législateur fédéral a introduit en 1930 une forme de protection spécifique des créations dans le domaine végétal, en instituant un brevet spécifique, le plant patent. Ce brevet a constitué pendant plusieurs décennies la seule forme de protection applicable aux plantes (aux variétés végétales), jusqu’à l’adoption du Plant Variety Protection Act de 1973. La protection, reprise dans le Patent Act de 1952, est codifiée, avec le brevet d’utilité, au chapitre 35 de l’US Code. Le paragraphe 161 du Patents Act dispose :

« Quiconque invente ou découvre et reproduit de manière asexuée toute variété distincte et nouvelle de plantes, y compris les [sports] cultivées, les mutants, les hybrides, et les [seedlings] nouvellement trouvés, autres qu’une plante se propageant par tubercule ou une plante trouvée à l’état non cultivé, peut obtenir un brevet , sous réserve des conditions et exigences de ce titre.

Les dispositions du présent titre relatives aux brevets d’invention sont applicables aux brevets pour les plantes, sauf disposition contraire »[20].

Un brevet de plante peut ainsi être accordé pour une variété nouvelle et distincte (autre qu’une plante se propageant par tubercules[21]) qui a été reproduite asexuellement. Le premier brevet de ce type a été délivré en 1931.

L’inventeur d’une plante est la personne qui apprécie la première le caractère distinctif d’une plante et la reproduit de manière asexuée, c’est-à-dire autrement que par semis, par exemple par bouturage, marcottage, division, greffage, etc. La fonction de la reproduction asexuée est d’assurer la stabilité de la plante.

Une caractéristique originale de cette protection tient à ce qu’une plante brevetée peut être créée, mais aussi découverte (ce qui n’est le cas en principe que pour les obtentions végétales). La loi exclut cependant les plantes découvertes dans un espace non cultivé. Les plantes découvertes dans un espace cultivé et dès lors a sexuellement reproduites peuvent être brevetées. Cependant on déduit du critère de nouveauté (défini comme en matière de brevets d’invention, y compris dans ses limites[22]) qu’une plante qui existe dans la nature et qui s’est reproduite n’est pas nouvelle. En conséquence, le brevet de découverte est limité aux aberrations uniques et spontanées.

La protection ne porte que sur les variétés de plantes dans le sens commun, ce qui par exemple couvre les algues et macro-champignons, mais exclut les bactéries[23]. Chaque brevet porte sur une plante, ou génome[24].

Le renvoi au règles générales de brevetabilité implique également l’application du critère d’activité inventive.

Le dépôt et l’examen sont effectués à l’USPTO, qui délivre le plant patent. Les demandes peuvent être soumises par l’USPTO au Department of Agriculture pour examen et avis.

Un dépôt d’échantillon n’est pas requis[25]. Par ailleurs, l’exigence de description est assouplie[26]. Les demandes doivent contenir une seule revendication[27]. Les demande de plant patent  sont soumises à la même procédure d’examen que les demandes de brevet d’utilité.

Les droits exclusifs comprennent ceux conférés aux titulaires de brevets d’invention[28], et sont précisés dans la section 163 qui dispose : « dans le cas d’un brevet de plante, le brevet inclut le droit d’interdire aux tiers de reproduire la plante de manière asexuée, et de l’utiliser, de l’offrir à la vente, ou de vendre la plante ainsi reproduite, ou une de ses parties, aux États-Unis, ou d’importer la plante ainsi reproduite, ou toute partie de cette plante, aux États-Unis ». Le brevet ne protège pas contre la sélection et la production de semences.

Les exceptions et limites sont celles prévues pour les brevets d’invention. A la différence du droit spécifique sur les variété végétales, la protection ne prévoit aucun privilège d’agriculteur.

La durée de protection est identique à celle des brevets d’invention.

Enfin, en matière de contrefaçon la jurisprudence exige une identité de matériel génétique entre la plante contrefaite et la plante brevetée[29]. La preuve d’une reproduction asexuée doit également être apportée.

Un total de 945 demandes de Plant Patent ont été déposées en 2022 aux États-Unis, dont 542 par non-résidents[30]. 1,109 brevets ont été délivrés, portant le total de plant patents en vigueur à 20.025[31].

 

432._ Autres législations_ En Australie comme aux États-Unis, les plantes et variétés végétales peuvent faire l’objet d’un brevet dans les conditions du droit commun des brevets[32]. Par contraste, au Canada la brevetabilité des plantes a été exclue par la Cour Suprême dans son arrêt Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets)[33]. Cependant cette exclusion n’interdit pas la brevetabilité d’une invention dans le domaine des plantes. La Cour Suprême du Canada a ainsi admis en 2004 la brevetabilité d’une invention consistant dans des gènes chimériques conférant une résistance à certains herbicides, et dans des cellules contenant ces gènes[34].

 


  1. Nous renvoyons sur ce point aux ouvrages spécialisés. Pour une monographie en anglais, V. M. Llewelyn, M. Adcock, European plant intellectual property, Hart Publishing, 2006, chapitres V à VII.
  2. V. supra, n°318.
  3. Patents Act, Sch. A2, s. 3(f).
  4. Patents Act, Sch. A2, s. 4.
  5. Directive 98/44/CE, considérant 31.
  6. L’exception d’ordre public a été écartée dans ce domaine par la Chambre de recours de l’OEB dans l’affaire Plant Genetic System (T 356/93) en 1995.
  7. Patents Act, Sch. A2, s.2
  8. Patents Act, Sch. A2, s. 6. V. également les considérant 23 et 24 de la directive qui précisent qu’une « qu'une simple séquence d'ADN sans indication d'une fonction ne contient aucun enseignement technique; qu'elle ne saurait, par conséquent, constituer une invention brevetable », et que « pour que le critère d'application industrielle soit respecté, il est nécessaire, dans le cas où une séquence ou une séquence partielle d'un gène est utilisée pour la production d'une protéine ou d'une protéine partielle, de préciser quelle protéine ou protéine partielle est produite ou quelle fonction elle assure ».
  9. Patents Act, Sch. A2, s. 7. De la même façon la protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s'étend à toute matière dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l'information génétique est contenue et exerce sa function (Patents Act, Sch. A2, s. 9).
  10. Patents Act, s. 60(5)(g) et Schedule A1 (Derogation from patent protection in respect of biotechnological invention), v. supra, n°332.
  11. « La protection visée aux articles 8 et 9 ne s'étend pas à la matière biologique obtenue par reproduction ou multiplication d'une matière biologique mise sur le marché sur le territoire d'un État membre par le titulaire du brevet ou avec son consentement, lorsque la reproduction ou la multiplication résulte nécessairement de l'utilisation pour laquelle la matière biologique a été mise sur le marché, pourvu que la matière obtenue ne soit pas utilisée ensuite pour d'autres reproductions ou multiplications ».
  12. V. supra, n°366.
  13. Ibid.
  14. Ex Parte Hibberd, 227 U.S.P.Q. 443 (PTO Bd. Pat. App. & Int’f 1985).
  15. JEM AG Supply, Inc. v. Pioneer Hi-Bred International Inc., 534 U.S. 124 (2001).
  16. Dans cette affaire, la société Pioneer détenait dix-sept brevets d’utilité couvrant la fabrication, l'utilisation, la vente, et l'offre à vendre de ses produits innés et hybrides de graine de maïs. Pioneer avait vendu ses graines hybrides brevetées sous licence restrictive apposée sur leur conditionnement, autorisant seulement la production du grain et/ou du fourrage, et interdisant d’utiliser ces graines pour la propagation ou la multiplication ou pour la production ou le développement d'un hybride ou d'une variété différente de graine. Le défendeur, Farm Advantage, Inc., avait acheté des graines brevetées à Pioneer dans des conditionnements portant la licence et avait revendu ces sacs. Pioneer avait alors assigné Farm Advantage, ses distributeurs et clients en contrefaçon de brevet. Farm Advantage avait formulé une demande reconventionnelle en nullité du brevet, au motif que les plantes sexuellement reproductibles, comme les maïs de Pioneer, ne sont pas brevetables sous le paragraphe 101 du Patent Act. Farm Advantage prétendait que le Plant Patent Act de 1930 (PPA) et le Plant Variety Protection Act (PVPA) sont les seules formes de protection légales des plantes, excluant par leur caractère spécifique une protection sous le paragraphe 101 du Patent Act.
  17. V. infra, n°392.
  18. Monsanto Co v McFarling, 302 F. 2d 1291 (2002) ; Monsanto Co v Scruggs 459 F. 3d 1328 (2006).
  19. V. supra, n°403.
  20. 35 U.S.C. § 161.
  21. Pommes de terre par exemple.
  22. V. supra, n°373.
  23. In re Arzberger, 112 F.2d 834 (CCPA 1940).
  24. « A sport or mutant of a patented plant would not be considered to be of the same genotype, would not be covered by the plant patent to the parent plant, and would, itself, be separately patentable, subject to meeting the requirements of patentability » (USPTO, General information about 35 U.S.C. 161 Plant Patents).
  25. 35 U.S.C. § 162; MPEP § 1605)
  26. 35 U.S.C. § 162, qui exige une description “ aussi complète qu'il est raisonnablement possible”.
  27. 37 C.F.R. 1.164; MPEP § 1605.
  28. 35 U.S.C. 161.
  29. Pioneer Hi-Bred Int’l v. Holden Found. Seeds, 35 F.3d 1226, 1235 (8th Cir. 1994).
  30. Source : statistiques sur la protection des obtentions végétales pour la période 2018-2022, UPOV.
  31. Ibid.
  32. V. supra, n°424.
  33. Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), [2002] 4 S.C.R. 45, 2002 SCC 76. V. supra, 425.
  34. Monsanto c. Schmeiser, 2004 SCC 34.